Le secret de la Vie

Les anges

C’est dans un petit village à flanc de montagne que grandit un petit garçon prénommé Jérôme. Ses parents Christophe et Élise sont de condition assez modeste. Élise est née au Danemark d’un père Danois et d’une mère Juive. Ils se sont rencontrés dans ce pays avec Christophe, ce jeune Français qui était venu y finir ses études. Et après quelques années de mariage, ils ont décidé de venir s’installer en France, dans ce petit village, avec leurs deux enfants Jérôme et Guillemette. Ceux-ci y vivent une enfance heureuse, avec de larges horizons verdoyants où culminent de somptueuses montagnes.

« Dis-moi, Abba Moïse, que sont les anges ? Peux-tu me parler d’eux ? » Jérôme a quatorze ans. Il pose cette question à un moine de la communauté des petits frères du Sacré-Cœur de Jésus qui ont une maison dans ce village où beaucoup viennent trouver des conseils spirituels. C’est son parrain qui a conseillé à Jérôme de venir trouver régulièrement ce saint ermite pour lui poser ses questions et avancer sur le chemin de la vie spirituelle. C’est là leur première rencontre. C’est là sa première question.

Abba Moïse regarde le jeune garçon avec un regard plein de joie et de douceur. C’est une bonne question. Il est tellement plus simple d’entrer dans la vie spirituelle quand le cœur est ouvert aux choses qui dépassent le monde des hommes.

« Que sont les anges, Abba Moïse ?

– Tu fais bien de t’intéresser aux anges, ce sont des aides précieuses pour avancer sur le chemin de la vie et parvenir jusqu’à Dieu. Les anges, vois-tu, sont les messagers du Très-Haut. Ils nous révèlent ce qu’Il est et ce qu’Il fait. Ils viennent nous aider aussi dans nos entreprises ; ils viennent protéger nos familles, nos villes et nos pays. Ce sont des personnes à rencontrer dans le secret de nos cœurs pour les connaître et les aimer, car eux aussi nous connaissent et nous aiment. Il manquerait quelque chose à l’amour si nous passions notre vie avec notre cœur loin d’eux. Dis-moi Jérôme, est-ce que cela t’arrive de prier ton ange gardien ?

– Oui, Abba Moïse, c’est maman qui m’a appris à faire cela quand j’étais petit. Je le fais tous les soirs. Et Papa a parlé l’autre jour de neuf chœurs angéliques. Qu’est-ce que cela veut dire ?

– Autour de Dieu, il y a d’abord sept séraphins qui chantent la gloire de Dieu, ils sont assistés de 28 chérubins et de 168 Trônes. Ce sont là les trois premiers chœurs qui forment la première hiérarchie. Après cela se trouve la deuxième hiérarchie composée également de trois chœurs, qui œuvrent pour propager la Lumière de Dieu jusqu’au monde des hommes ; ils sont des milliards. Et enfin il y a la troisième hiérarchie encore composée de trois chœurs qui assistent le monde des hommes dans son chemin à travers l’histoire ; le dernier de ces chœurs, le plus proche de nous est celui des anges gardiens ; ils sont un nombre incalculable. Mais tu auras tout le temps au cours de ta vie de te familiariser avec ce monde, si tu te rends attentif à sa présence. Tu verras qu’il perce au travers des choses ordinaires de la vie, et si tu suis la route qu’il t’indique, le chemin vers lequel il te porte, tu parviendras dans les demeures du Très-Haut, c’est là la grande aventure de la vie. Demande à ton ange gardien de t’apprendre à vivre cette aventure.

– C’est ce que dit papa ; il dit que le grand Graal, le saint Graal, celui qu’il faut chercher, c’est de voir Dieu. Il dit qu’il faut prendre cette route, tel un chevalier. Il dit aussi qu’il faut être fort et vaillant, parce qu’il y a beaucoup d’ennemis, mais qu’il ne faut pas avoir peur, parce que nous sommes portés dans les bras de Dieu et des anges. Tu as déjà vu Dieu, Abba Moïse ?

– Tu sais, on le voit déjà tous les jours dans l’Hostie. Mais là il reste pour beaucoup encore caché, car il faut du temps pour que nos yeux s’ouvrent à sa Lumière. C’est un long chemin à parcourir pour voir Dieu. Mais, je peux t’aider à avancer sur ce chemin, si c’est ce que ton cœur désire. »

Au retour

Jérôme s’est assis au retour sur une pierre, afin de regarder les montagnes, d’observer les papillons et de jouer avec les vers de terre. Il se remémore ce que lui a dit Abba Moïse, puis se tourne dans son cœur vers son ange :

« Ô ange qui êtes mon gardien, je souhaite être un chevalier vaillant, gardant dans mon cœur l’amour de ma dame, et partir à la quête du Graal. Je veux voir Dieu. Guidez-moi, faites-moi prendre ce chemin. »

Cette prière d’un instant devint la prière de sa vie, il y revint jour après jour, en dépit de toutes ses faiblesses, de tous ses péchés, de toutes les tentations que le monde pouvait offrir. La quête de Dieu l’entraîna sur des chemins insoupçonnés. Et Abba Moïse fut là pour le guider.

Son ange, bien sûr, entendit aussi cette prière. Il la porta devant Dieu sur son autel céleste ; et elle fut agréée par la Divine Majesté. Il étendit le manteau de sa Miséricorde sur la vie de sa créature pour qu’elle soit portée par la grâce tout au long du chemin qu’elle aurait à emprunter.

Abba Moïse lui apprit à aimer le Seigneur Jésus, à aimer la Vierge Marie, à aimer Saint Joseph, et à vivre pour les épousailles de l’Esprit-Saint, ces épousailles qui nous remplissent de l’Amour de Dieu, de sa force, de sa vie.

Il lui apprit l’abandon, la confiance, la foi en la miséricorde qui nous relève toujours. Il lui apprit à chercher l’amour en toute chose, et à vivre simplement au milieu des siens, attentif aux actions de Dieu.

Jérôme passa ainsi des premières demeures du château intérieur de l’âme, où l’on contemple la spiritualité humaine qui se déploie dans le monde, aux deuxièmes demeures où l’on est rendu attentif aux anges de la troisième hiérarchie, qui a pour vocation de nous révéler l’action de Dieu dans le monde créé et d’agir dans ce monde. Quand on arrive dans ces deuxièmes demeures, où nos yeux s’ouvrent progressivement à un monde nouveau, il faut du temps pour ajuster sa vie à ce que l’on découvre alors, pour devenir un bon chrétien, vivant pour Dieu et au service de son action dans le monde. Quand on y est parvenu, c’est qu’on est installé dans les troisièmes demeures.

C’est ce chemin que Jérôme emprunta durant son adolescence, où il devint l’ami de Jésus, ce qui l’aida à travailler ses vertus. Il se mit à percevoir la présence des anges qui gardent l’ordre de nos diverses associations, communautés et assemblées. Il y avait les quatre anges du village, l’ange de la paroisse, l’ange du diocèse, l’ange du monastère, l’ange de son groupe d’escalade, l’ange de sa troupe de théâtre, l’ange de son école, les quatre anges de la France dont il perçut la présence lors d’un séjour avec ses parents à Paris, et tous les anges de tous les groupes qu’il pouvait rencontrer. Abba Moïse lui apprit à reconnaître les anges gardiens qui veillent sur les personnes, les archanges qui veillent sur les petites communautés de proximité (quartiers, villages, paroisses, petites associations) qui s’imbriquent sur six niveaux, et les principautés qui veillent sur les grandes communautés (villes, diocèses, régions, pays, monde) qui s’imbriquent aussi sur six niveaux. Il lui dit que ces six niveaux sont le reflet dans le monde des hommes des six autres chœurs qui nous parlent de Dieu en lui-même, dans son être et dans son agir. Il lui dit qu’il y a des anges des chœurs inférieurs pour représenter les anges des chœurs supérieurs. Il lui apprit aussi qu’il y a une rotation au sein de chaque chœur dans les diverses responsabilités. Tout cela aida Jérôme à mieux comprendre le monde dans lequel il vivait, à mieux sentir les mouvements de vie qui parcourent l’existence humaine et à laisser la place qu’il convient dans son cœur à la présence et à l’action des êtres spirituels.

Vers les cimes

L’ange de Jérôme est allé trouvé aujourd’hui un archange qui s’occupe d’une petite fraternité de jeunes chrétiens dans la grande ville la plus proche à cent kilomètres de là. Il veut voir avec lui si son protégé aurait sa place dans cette fraternité. Ce n’est pas encore pour tout de suite, mais il faut préparer l’avenir, ouvrir des chemins pour que les personnes qui ont intérêt à s’y retrouver arrivent jusque là. Jérôme va bientôt avoir dix-sept ans, et l’on parle là de ce qu’il fera quand il en aura dix-huit. L’entretien se passe bien, ouvre des perspectives pour mieux comprendre le mystère que l’ange gardien partage avec Jérôme et qui doit se révéler au cours de la vie de celui-ci. L’ange connaît intuitivement ce mystère, mais chaque rencontre avec une autre créature lui donne de nouvelles façons de penser ce mystère, et lui permet de mieux guider son protégé.

Jérôme, lui, ce jour-là, a entrepris avec deux amis, Solenne et Étienne, l’ascension d’une grande voie d’escalade, d’une falaise de 250m de hauteur qui mène à un sommet avec une vue magnifique. Il monte chaque longueur de corde l’un, puis l’autre, puis le troisième, en s’alternant comme premier de cordée.

Avant de monter, ils ont confié leur journée à leurs anges gardiens, pour qu’ils les protègent, qu’ils guident leurs mouvements et leurs pensées, qu’ils ordonnent les choses extérieures pour que rien ne leur arrive de fâcheux aujourd’hui.

C’est une belle journée, le ciel est bleu avec quelques petits nuages comme des moutons égarés. Il y a beaucoup de joie à partir ainsi vers les cimes, à expérimenter dans son corps la joie d’exister, de participer à la vie. Le monde est grand et merveilleux. Des aigles tournoient dans le ciel et ajoutent une note majestueuse et harmonieuse à l’ensemble.

L’ange de Jérôme est présent à l’archange pour leur importante entrevue, il se rend aussi présent à Jérôme pour le protéger. Il n’est pas en peine pour mener en même temps ces deux actions. Il est un être spirituel tout de même. Il ne peut pas être présent à toute chose dans un seul instant, comme le peut l’Éternel, mais il peut être présent à plusieurs en même temps, comme aujourd’hui.

D’ailleurs, Jérôme a bien besoin d’être protégé. Il y a un être maléfique qui cherche sa perte, et il doit user de tout son art pour le tenir à distance, pour déjouer ses vilains tours. Au milieu de la falaise, cet être perdu arrive même à desceller une grosse pierre au-dessus de la cordée. Jérôme est alors en tête. L’ange lui suggère un mouvement de tête vers le haut qui lui fait percevoir le danger dans un bref instant. Il n’a que le temps de se plaquer contre la paroi pour éviter le rocher qui fonce droit sur lui. Le caillou frôle son sac et tombe en bas. Il y a eu de la peur, il n’y a pas eu de mal. L’ange n’a même pas eu à dévier la trajectoire du caillou.

Cet acte du démon a dévoilé entièrement ce dernier ; l’ange peut ainsi briser tous les liens qui lui permettent d’agir ici et le faire fuir définitivement. Il ne reviendra pas de sitôt. La journée peut continuer son cours, paisiblement.

Dans le même temps, l’accord a été conclu avec l’archange, et la Divine Majesté l’a agréé. Jérôme ira rejoindre si tout se passe bien la petite fraternité. Jérôme est ouvert à la Volonté de Dieu et aux intuitions du monde spirituel. Il ne devrait pas être trop difficile de le mener sur ce chemin.

D’ailleurs, au sommet, en contemplant l’horizon qui fait signe vers le monde infini des anges et de Dieu, c’est de l’avenir qu’ils parlent.

« Que penses-tu faire après ton bac, Jérôme ?

– Je pense étudier le droit, j’aimerais être juge ou avocat. C’est un métier qui m’attire pour servir le bien des gens au travers de leurs problèmes et de leurs égarements.

– Penses-tu rester dans la région, en allant à la ville pour cela ? Ou envisages-tu d’aller plus loin ?

– J’aime cette région. Je ne vois pas pour le moment de raison d’aller ailleurs, elle m’offre tout ce que je cherche. Enfin, on verra. Mais parlons plutôt de notre projet d’aller à Tamanrasset sur les pas de Charles de Foucauld. Vous êtes toujours partant pour faire ce pèlerinage à la fin de notre terminale ?

– Pour moi, oui, plus que jamais. J’ai même étudié les cartes de mes parents à la maison. Cela a l’air magnifique ! J’ai vraiment envie de découvrir ce qu’est un désert.

– Et puis, Charles de Foucauld, c’est quand même quelqu’un. »

À la ville

Le voilà désormais installé en ville, dans une petite chambre d’étudiant. Il a obtenu son baccalauréat général avec mention assez bien. Et il s’est inscrit à la faculté de droit. Ses parents l’ont accompagné pour l’aider à déménager. Ils savent qu’il ne sera pas trop perdu, car ils ont beaucoup d’amis chez qui le recommander. Mais c’est quand même une séparation ; voilà qu’il quitte la maison parentale. Ils lui ont redit tous leurs souhaits de bonheur dans sa nouvelle vie ; puis ils ont repris la route de leur village, il y a tout juste quelques instants.

Jérôme est seul dans sa chambre. Voilà son chez lui. Cela lui fait une impression étrange. Il se met en prière devant ses icônes. Autant commencer à habiter ce lieu en priant.

Puis, il se remémore son voyage à Tamanrasset avec Étienne et Solenne. Ils y sont allés tous les trois. Leur parents leur ont fait confiance. C’était le premier grand voyage de leur vie d’adulte. Le désert, la solitude, la marche, l’amitié, la joie, la prière, les rencontres… Tant de choses. Il a compris aussi qu’une relation se créait entre ses deux compagnons qui laissait présager peut-être plus qu’une amitié. Quelque part, cela le réjouit, car il trouve qu’ils vont bien ensemble tous les deux.

L’ange de Jérôme cherche à l’aider dans ses méditations. Il lui faut des mots, des concepts, des idées. Il lui vient la pensée d’aller trouver un moine qui l’a déjà aidé. Celui-ci lit la Bible dans la solitude de son monastère en Israël. C’est une lecture priante. Il médite sur le passage où Abraham emmène son fils vers une montagne pour le sacrifier, et où finalement Dieu demande de sacrifier à la place un agneau pris dans les ronces. Le moine médite sur le mystère de la vie, qu’est l’enfant, qu’est l’agneau, et que sera le Christ qui donnera sa vie sur la Croix. Cette Croix qui est devenu l’Arbre de Vie, le point central du monde. L’ange écoute tout cela. Cela l’inspire. Il y découvre la manière de dire à son protégé ce qu’il cherchait à lui dire.

Jérôme poursuit ses pensées en lui-même. C’est donc cela le mystère de la vie. On avance vers un but, avec des amis. Il pense à Charles de Foucauld : celui-ci s’est donné complètement à la vie intérieure et au service de ses frères pour les amener au Christ. Il pense à ses parents qui viennent de le laisser : il y a une forme de sacrifice dans la manière dont ils l’ont laissé pour que sa vie se poursuive. Il pense à Abba Moïse : celui-ci l’a béni, et lui a souhaité beaucoup de joie avec ses nouveaux amis, tout en lui faisant comprendre qu’un chemin plus intérieur l’attendait. L’image lui vient d’un agneau offert sur la montagne en sacrifice pour que la vie en jaillisse. Cet agneau, c’est le Christ, bien sûr, mais n’est-ce pas aussi un peu lui ? Il voit cela comme quelque chose de lointain devant lui. Quelque chose qui a, certes, un peu commencé, mais qui se trouve surtout au bout d’un chemin où il voit luire comme une petite lumière. C’est comme si le sacrifice qu’avait réalisé ses parents en le laissant ici pour une vie nouvelle était le signe d’un sacrifice plus profond, plus intérieur, qui se réaliserait dans le futur pour porter du fruit en ce monde.

Il voit cela fugitivement, en un instant, mais cela lui donne un éclairage, lui montre vers où avancer. Abba Moïse lui a dit qu’il lui faudrait s’enraciner dans la prière, passer du temps seul à seul avec Jésus, toujours davantage. Il sent un changement dans son âme. Il a entrepris un chemin qui le mène des réalités sensibles vers le monde de Dieu. Cela a provoqué en lui une forme de nuit, une nuit des sens, quelque chose dont il ne s’attendait pas, mais sur lequel il ne prête guère d’attention car il est fasciné par cette lumière qui brille au loin. C’est qu’il a pénétré dans les quatrièmes demeures ; celles où l’on entre dans la contemplation habituelle des anges de la deuxième hiérarchie, ceux qui font le lien entre le monde des hommes et le monde de Dieu, ceux qui parlent de Dieu dans son action en dehors de toute référence au monde créé. Il faut du temps pour s’habituer à cette lumière, pour quitter le sensible et entrer dans les profondeurs du monde spirituel. Au début, cela inquiète l’âme, il lui faut apprendre à se laisser guider dans un monde inconnu.

Il faudra deux ans à Jérôme pour cela. La petite fraternité de jeunes chrétiens qu’il rejoindra, grâce à une rencontre avec un de ses membres, l’aidera beaucoup. On y prie, on y parle de Dieu, on y chante ses louanges, on fréquente les monastères, on entre aussi dans des services simples auprès des frères les plus exclus. Jérôme aura souvent au cours de ces années le sentiment d’être bien misérable, bien pécheur, du fait de ses ténèbres intérieures, et du fait aussi de toutes les chutes qu’il fera à cause des nombreuses tentations du milieu étudiant. Mais il rencontrera très souvent un prêtre qui lui apprendra à vivre de la Miséricorde Divine.

Il continuera à prier les anges des différents groupes, associations et communautés qu’il fréquente, comme il le faisait dans son village. Il priera les anges de la ville pour le bien des gens qu’il rencontre. Il priera l’ange de son école pour le bien des étudiants et professeurs. Il priera l’ange de sa fraternité pour son petit groupe. Il priera beaucoup son ange gardien. Mais il aura l’impression de beaucoup moins sentir leur présence qu’autrefois, même si la certitude de leur proximité ne fera que grandir. Son cœur s’ouvrira aussi davantage à la présence des anges qui sont sur l’échelle entre Dieu et les hommes. Il lui semblera entrer dans des profondeurs qu’il ne connaissait pas avant, guidé par l’Esprit de Dieu. Comme si son voyage vers la lumière par le petit chemin de la vie était un voyage vers le centre de la Terre, vers un monde que l’on ne voit pas depuis la surface ; comme s’il s’ajoutait une dimension au monde.

Il a demandé un jour à Abba Moïse s’il devait écrire sur cela, sur cette dimension qu’il lui semblait percevoir derrière les choses ; car l’envie lui venait parfois de le faire. Abba Moïse lui a répondu que non, qu’il fallait s’attacher à la prière, et ne pas chercher outre mesure à témoigner de sa vie intérieure.

Il lui semblera aussi à des moments où il se tenait en prière devant l’Hostie avoir la certitude d’être en présence d’un grand ange, d’un ange immense, d’un ange aux dimensions du monde, d’une couleur bleue très claire. Sa spiritualité se déployait sur le monde. Il lui est une fois arrivé de lui demander : « Ô ange, qui es-tu ? ». Et il lui a semblé que celui-ci lui avait répondu : « Je suis l’ange de la Vie. ».

Mais cela s’est fait obscurément, dans un quotidien où il y avait plutôt la nuit. Une nuit qui, comme on l’a dit, dura deux ans, jusqu’à ce qu’il entre dans les cinquième demeures, où après avoir été purifié, on jouit avec aisance de la contemplation du monde spirituel, au travers des anges de la deuxième hiérarchie.

Au service

À ce moment, il y avait du changement dans sa vie. Il s’était mis en colocation avec deux amis dans un grand appartement, et quittait donc sa petite chambre de solitaire. Et on lui avait demandé de prendre des responsabilités dans une association étudiante qui s’occupait des plus exclus : visites de personnes âgées, visites de prisonniers, rencontres avec des personnes à la rue, soutien scolaire, projets humanitaires, etc. La coordination de ces activités l’occupait beaucoup. Il avait aussi rejoint une troupe de théâtre. Il aimait monter sur scène ; les pièces qu’ils préparaient le réjouissaient beaucoup, car elles parlaient des saints, car elles étaient remplies de musiques et de costumes. Il allait garder ces activités jusqu’au bout de ses études.

Celles-ci avançaient ; il hésitait parfois sur son orientation, regrettant des études plus littéraires en philosophie. Mais il continuait, trouvant que cela avait du sens d’apprendre un métier pour se construire humainement.

Il sentait une unité de vie, au cœur de la ville qu’il habitait. Il percevait que les anges l’accompagnaient, le guidaient, harmonisaient sa vie, préparaient les évènements. Il avait aussi commencé à repérer davantage la physionomie de la Cité Sainte, la manière dont les anges de Dieu s’organisaient. Il voyait l’ange de la Vie devant lui, comme formant une porte pour entrer dans cette ville. Il avait compris qu’il y avait douze portes à la Cité Sainte, avec pour chacune un ange du jour et un ange de la nuit, et cela pour chacun des sept séraphins. Cela faisait donc cent soixante-huit manières d’entrer dans la Jérusalem céleste, une selon chacun des différents trônes, ces anges du troisième chœur. Il avait découvert parmi eux l’ange de la Bonté, l’ange de la Piété, l’ange de la Grâce. Mais son ange à lui, c’était l’ange de la Vie.

Il arrivait à voir de plus en plus l’ange associé à chacun au travers de l’aura qui jaillissait de la personne. Il percevait aussi un peu ceux qui parmi les hommes étaient pour ce temps les représentants d’anges supérieurs de quelques chœurs que ce soit.

Tout cela éclairait son chemin, l’ouvrait chaque jour davantage aux mystères de Dieu que les anges nous révèlent. Il se sentait attiré de plus en plus vers le Christ qui est présent au cœur de tout ce déploiement de vie et de spiritualité. Il avançait sur une route, et il savait qu’elle le porterait bien loin au-delà de la vie qu’il menait ici dans cette ville. Il percevait au bout de cette route un Arbre immense qui soutenait toute chose, mais il avait du mal à bien le voir ; il lui semblait qu’il y avait une forme de boisseau qui le voilait. Il voulait avancer vers cet Arbre, c’était le but de sa route.

La vie était joyeuse, il aimait cette vie ; mais il sentait au-dessus de lui le poids de tant de refus d’aimer, de choix de mort, posés depuis la fondation du monde. Il voulait réparer pour cela, il voulait offrir sa vie pour que la vie jaillisse dans les lieux les plus ténébreux. Il avait compris que le lieu où il voulait vivre et prier était le désert. Alors il passait du temps durant les vacances dans le monastère des petits frères du Sacré-Cœur de Jésus. Il se sentait attiré par là, il y avait vécu des temps d’union avec le Dieu trois fois saint qui ne lui laissait plus d’autres désirs que de tout quitter pour être entièrement à lui.

« Abba Moïse, je voudrais entrer au monastère pour offrir ma vie, dans la prière et le sacrifice, afin que la vie de Dieu puisse jaillir dans les lieux les plus arides. »

C’était vraiment ce qu’il souhaitait, c’était la méditation des trois dernières années de ses études qui le conduisait à cette conclusion. Il ne voulait pas chercher plus loin ; il avait trouvé, dans ce lieu de son enfance, la route qu’il désirait pour arriver au terme qu’il voyait devant lui.

Une nouvelle vie

Après avoir confié sa vie à la Très Sainte Mère de Dieu, par un long pèlerinage à pied jusqu’à un lieu marial, il était entré au monastère, et avait pris le nom de Jérôme-Marie. Il renonçait à se marier… C’était un sacrifice ; mais cela ne le mettait pas en peine, car il voyait tout le gain spirituel qui sortirait de ce choix. Il avait perçu combien le vrai époux de son âme était avant tout l’Esprit-Saint, et donc le Christ.

Le voilà donc au monastère. La vie est fait de prière, d’études, de travail manuel, de silence, de nature. Tout cela lui plaît. Son impression est d’avoir posé le pied sur un autel, et de devoir avancer vers le lieu du sacrifice dont il est lui-même l’offrande. C’est comme s’il devait préparer le cocon pour devoir lui-même y mourir. Et plus il avance, plus les ténèbres se font ; plus tout lui semble être un lieu de mort. Mais c’est ce qu’il avait voulu : aller dans les lieux arides, aller au fond de la ténèbre, pour faire jaillir la vie. C’était son désir, et ce désir le portait de l’avant ; à tel point qu’il n’avait aucun mouvement de recul devant tant de ténèbres. Autant tout lui paraissait de plus en plus difficile, la vie semblait disparaître en lui et autour de lui, il avait souvent bien du mal à porter tout cela ; autant il était certain d’être sur la bonne route, et il avançait coûte que coûte. Sa ténèbre ne transparaissait pas d’ailleurs autour de lui, et cela n’inquiétait pas outre mesure Abba Moïse. Beaucoup avait déjà suivi cette route.

C’est qu’il avait pénétré dans les sixièmes demeures du château intérieur. Celles où l’on entre dans l’ultime chemin vers le Dieu Éternel. Celles où l’on entre dans la contemplation habituelle des anges de la première hiérarchie, de ceux qui vivent en permanence auprès de Dieu, de ceux qui sont là pour parler de Dieu dans ce qu’il est. Il s’agit de saisir les choses spirituelles dans la profondeur de ce qu’elles sont. Il s’agit de laisser purifier son esprit de tout ce qui l’empêche de percevoir pleinement les mystères de Dieu reflétés par les anges. Il s’agit de se laisser ajuster à ce qu’est Dieu lui-même.

Cela dura longtemps pour Jérôme-Marie, tout son temps de noviciat. Mais au terme de celui-ci, en vivant l’offrande complète de lui-même dans les vœux religieux qu’il prononça, il sentit une profonde transformation au fond de son âme, comme une sorte d’unité qui y était déposée. Comme s’il avait atteint le but de sa route, le centre de la Terre, le lieu du fondement de toute chose, le lieu où habite l’Éternel. Le sacrifice sur l’autel avait été agréé. Il s’était retrouvé tout contre l’Arbre de Vie ; l’ange de la Vie lui avait permis d’entrer.

Et arrivé en ce lieu, à l’endroit de l’Arbre, il avait vu l’Enfant-Dieu. C’était un enfant à prendre dans nos bras, à aimer et à chérir ; pour que ce qu’il est, son humanité et sa divinité, imprègne notre âme. Il l’avait pris dans ses bras pour lui offrir un lieu où demeurer. C’était simple, c’était beau. Il avait vu qu’il formait ainsi une icône de Dieu auquel faisaient écho toutes les autres icônes de Dieu des autres enfants du Royaume. Il avait vu la gloire que Dieu voulait pour le Cosmos. Il avait vu que toute la vie se vivait au sein de la Trinité ; le Père étant un père pour l’âme humaine, le Fils un fils, et l’Esprit un époux. Il avait vu tout cela obscurément, mais cela ne laissait aucun doute. C’était une forme de lumière au fond de son âme qui l’habitait de l’intérieur, une lumière qui semblait imprégner toute chose. C’était une source de vie qui avait jaillit au centre de toute chose.

Combien en arrivant en ce lieu ont-ils refusé de prendre l’Enfant-Dieu dans leur bras, voulant servir leur propre gloire, cherchant je ne sais quel Dieu à leur image, cherchant à être eux-même Dieu ?

Combien en arrivant en ce lieu ont-ils refusé d’être l’égal des autres personnes humaines ?

Combien en arrivant en ce lieu ont-ils refusé de n’être qu’une image parmi une multitude d’images de la gloire de Dieu ?

Combien n’ont pas voulu comprendre la simplicité de l’Amour de Dieu ?

Tout cela est bien mystérieux.

Et enfin

Cette expérience était quelque chose de doux ; c’était aussi un aboutissement. C’est qu’il était entré dans les septièmes demeures, celles où l’on a achevé de remonter jusqu’à Dieu par les anges, celles où l’on se tient en présence de l’Éternel. Mais le monde semblait s’opposer à cette Lumière, il voulait la détruire. Toutes les ténèbres qu’il avait vues dans les lieux de mort qu’il avait traversés semblaient s’abattre progressivement sur son âme. Il était tenu par en-dessous par Dieu lui-même, et il lui semblait être devenu une coupe, un graal, pour transformer toute cette mort en vie. C’est que dans ces septièmes demeures, Dieu l’appelait à l’accompagner à Gethsémani, à vivre avec Lui sa Passion pour aller jusqu’à sa Résurrection.

Cela dura des années, où le sentiment de mort en son âme devint de plus en plus terrible, où la noirceur du monde semblait progressivement envahir toute chose. Mais il y avait en lui, au fond de lui, une source, une vie qui le portait, qui le faisait demeurer dans le lieu où il était. Il se demandait souvent comment servir l’ange de la Vie avec autant de mort en lui. Alors il se plongeait en Dieu devant l’Éternel, ne sachant trop si sa vie était vraiment féconde, ne sachant trop si tout cela plaisait à Dieu. Il se confiait à Notre-Dame de Vie. Il se sentait abandonné, et vivait ce cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Extérieurement, cela lui arrivait de fatiguer, de devoir se reposer, de devoir demander des dispenses à la règle. On avait l’impression qu’il devenait de plus en plus inutilisable à quoi que ce soit.

Mais, un jour, alors qu’il fêtait la Résurrection à la vigile pascale, en allumant le feu de la lumière du Christ qui jaillit dans les ténèbres, il sentit une paix, une joie et une lumière profonde envahir son âme. Les ténèbres étaient parties d’un coup. La mort avait laissé la place à la vie. Il sentit une douceur, quelque chose de nouveau. Il se dit que finalement, jusque là, il n’avait jamais connu la paix, la joie et la lumière. Et il rendit grâce à Dieu. Il se sentait comme la Sainte Vierge après la Résurrection, avec quelque chose en lui qui ne pourrait plus jamais le quitter, un état où malgré les souffrances et les épreuves, la lumière de la vie serait toujours là. La confiance de cela, en dépit de toutes les tentations, demeurait toujours.

Son ange était là ; il le réconfortait après toutes ses épreuves. Il lui montrait de multiples choses, il l’accompagnait vers les anges des différents chœurs, au travers de ce qu’il vivait dans le monde des hommes, pour mieux saisir son mystère. Jérôme-Marie découvrit ainsi l’ange de la Miséricorde qui est le trône associé à la même porte que l’ange de la Vie. Cet ange était celui qui présidait la sainte liturgie de ces deux décennies et représentait ainsi le séraphin de la Communion. L’ange de la Vie, lui, était le premier adjoint de ce trône et représentait le chérubin de l’Unité.

Dans les années qui suivirent, il voyait de plus en plus se déployer la vie autour de lui, il en saisissait le mystère. Il la voyait derrière chaque chose. Il voyait ce fleuve impétueux se répandre dans le monde dans un mouvement de renaissance incessant. Il voyait cette Vie en Dieu, cette vie dans les anges, cette vie dans la spiritualité humaine, cette vie dans le monde matériel. Il voyait tout cela relié et uni. Tous les autres mystères qu’il appréhendait le ramenaient sans cesse à celui-là, à ce mystère de la Vie, et lui permettaient de mieux le comprendre, de mieux le penser, de mieux le dire.

« Jérôme-Marie, lui dit un jour Abba Moïse, j’ai pensé à toi pour aller fonder un monastère de notre communauté au Danemark. Cela fait longtemps que l’on nous a invités là-bas. Je ne sais pas si tu le sais, mais selon nos traditions, le Danemark est associé à l’ange de la Vie, il porte ce mystère. Il est de bon ton que nous ayons un monastère là-bas. Tu es à moitié Danois, ce sera pour toi un retour au source. »

Jérôme-Marie, après réflexion, accepta la proposition. La route du Danemark s’ouvrait devant lui. C’était une route pour servir l’ange de la Vie, et cheminer ainsi vers la Jérusalem céleste avec tous ceux que Dieu lui donnerait de rencontrer et d’être uni.

« Jérôme-Marie, lui dit aussi Abba Moïse, il te faudra écrire sur le mystère de la Vie. Les mots et les idées te viendront progressivement ; elles s’ordonneront en toi autour de ce que tu as pu vivre dans ton cœur. Tu as planté ici la pointe d’un compas par ce que tu as vécu, il te faut maintenant dessiner des cercles de plus en plus larges pour répandre le mystère contemplé et aider à ce que la culture de mort qui semble dominer notre époque puisse laisser place à la vie. »

Cette vie, elle le portait de l’avant, elle le rendait de plus en plus créatif, elle l’aidait à prendre sa place, et à faire jaillir des sources dans les cœurs de ceux qu’il rencontrait.

Il compris que Dieu l’avait nommé pour ce temps comme représentant de l’ange de la Vie ; non pas de l’ange de l’Unité que l’ange de la Vie représentait, il y avait d’autres personnes pour cela, mais bien de l’ange de la Vie. Il compris que cela se faisait avec d’autres personnes.

Et il entendit au fond de son âme ces paroles : « Petit enfant, voici que j’appelle de tous les pays du monde les petits apôtres de mon amour pour répandre mes saints mystères dans les cœurs, et faire advenir le Monde Nouveau que je désire. »

La Cité Sainte

Et je vis la Cité Sainte descendre d’auprès de Dieu ; je la vis faire irruption dans le monde des hommes. Au centre se trouvait l’Agneau. Les sept esprits de Dieu le servaient, c’était les sept séraphins qui portaient le mystère des sept dimensions de l’Amour. Ils étaient assistés chacun de quatre chérubins qui propageaient aux quatre vents les mystères de l’Amour de Dieu vécu de manière Communautaire. Autour d’eux se trouvaient vingt-quatre trônes, vingt-quatre pour chaque séraphin ; ils glorifiaient les Personnes divines. Ils formaient le rempart extérieur de la ville. Les rotations de fonction, où chacun prenait à tour de rôle la présidence de la liturgie ainsi que les diverses autres places de représentations, permettaient de chanter de multiples manières la gloire de l’Éternel. Ces circulations de vies et d’amour se propageaient et se diversifiaient par la deuxième hiérarchie angélique qui explicitait les mystères de l’agir de Dieu. Et cela arrivait par les anges de la troisième hiérarchie jusqu’au monde des hommes qui habitaient cette Cité Sainte, qui vivaient à son rythme, selon ses fêtes et ses solennités, afin que toute chose glorifie le Dieu Amour, le Dieu Trinité, le Dieu Famille. Cela rejaillissait aussi sur le monde sensible, qui se trouvait transfiguré par les puissances spirituelles, produisant au sein même de la matérialité, de la végétalité et de l’animalité des transformations pour signifier tous les déploiements de vie et d’amour. Et au centre de tout, au centre de Dieu, se trouvait l’Arbre de Vie qui répand son fruit en toute chose.

Et il y avait autour de l’Agneau les deux colonnes de l’Église, Joseph et Marie, qui sont le roi et la reine de ce monde immense, au nom de Jésus. Ils vivaient le mystère de la Sainte Famille ; et ce mystère se trouvait vécu par tous les anges et tous les saints, dans une multitude de saintes familles, afin que tous vivent de l’Amour de Dieu et œuvrent à la gloire de la Trinité.

C’est dans ce monde que Dieu a décidé de nous faire entrer.

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