Il est des moments opportuns pour l’émergence d’engagements pour un monde meilleur. C’est ainsi que nous avons vu apparaître le mouvement des Gilets Jaunes. Son signe distinctif, pourtant si simple, est particulièrement approprié non seulement pour se reconnaître et pour fédérer, mais aussi pour montrer que notre société est en déroute, en dérive, en danger, qu’elle court à l’accident, si elle ne gît pas déjà au bord de la route. Elle a besoin de secours.
C’est le prix de l’essence à la pompe qui a mis le feu au poudre. C’est aussi tout un symbole. Cela montre que l’on ne veut plus que nos vies perdent de leur dignité et de leur valeur à cause de l’argent et du pétrole. On ne veut plus subir le diktat de ces dieux qui pourrissent nos vies en absorbant ce que nous sommes.
Le problème est certes complexe, et l’on ne résoudra pas le problème de la société française sur ce que l’on paye à la station service. Mais il reste que l’État a failli en appauvrissant les classes moyennes et en favorisant toujours plus les riches. La transition écologique est certes nécessaire, mais il est bien plus nécessaire de dégraisser l’État de ces taxes sans nombre pour redonner le pouvoir et la responsabilité aux petites gens. Plutôt que de vouloir imposer des réformes par le haut en suçant le sang du peuple, et en tuant dans l’œuf la créativité et les initiatives des citoyens, l’État ferait mieux d’accompagner ceux qui s’engagent pour que la transition ait lieu, de favoriser ceux qui ont le sens de l’honneur, du sacrifice et du bien commun, sans prétendre vouloir faire mieux qu’eux et à leur place.
Si j’ai un conseil à donner aux Gilets Jaunes, ce serait celui-là : ayez l’esprit chevaleresque. Ayez l’esprit de noblesse d’âme. Ayez l’esprit de service. N’exaspérez pas les Français, mais maintenez vive la conviction qu’un changement de société est nécessaire, et que c’est avant tout du peuple qu’il doit venir. Vivifiez la société française par de nouveaux lieux de sociabilité et par des prises d’initiatives. Votre combat, c’est de montrer que les vrais acteurs du monde, ceux qui forgent celui de demain, ce sont la multitude de ceux qui s’engagent dans la vie concrète qui les entoure, et non ceux qui exercent leur pouvoir comme s’il n’y avait qu’eux qui pouvaient améliorer le monde, et qui s’accaparent les moyens et les biens en épuisant toutes les capacités des autres. Rappelez-leur qu’un système politique se doit d’abord d’accompagner la libre participation de tous au bien commun. Nous ne sommes pas faits pour être des assistés soumis à des lois sans nombre et donnant tout notre argent à ceux qui prétendent le gérer mieux que nous. Nous sommes faits pour exercer notre liberté et notre responsabilité au service de nos communautés de vie et d’existence. Il y a des pouvoirs légitimes, mais ils ont des limites, tout ne leur est pas permis, en particulier d’amoindrir les capacités d’agir des citoyens comme si tout dépendait entièrement de l’État pour la bonne marche du pays.
Je souhaite donc longue vie aux Gilets Jaunes, en espérant que ce ne soit pas un simple feu de paille qui s’éteindra avec l’hiver. Je pense qu’il leur faut s’inscrire dans la durée et entrer dans le microcosme de tous les mouvements de contestation. Même s’il faut souhaiter des petites victoires, je ne crois pas à de vrais victoires sur le court terme ; ou alors elles seraient illusoires, voir même mortifères, tueuses d’initiatives durables. Il faut du temps pour que les choses matures, il faut du temps à un arbre pour donner du fruit. L’histoire nous a enseignés que des changements trop brusques, faits dans la violence, conduisent à des situations de terreurs et de dictatures encore pire que les situations précédentes, alors que la non-violence qui engage les vies porte du fruit et fait tomber les empires. Pensons par exemple au mouvement Solidarnosc ou à l’action de Gandhi.
Je pense qu’il n’y aura de changements significatifs, de changements dignes de ce nom que par un engagement de plusieurs années. Un engagement où il faut accepter de n’être qu’un mouvement parmi d’autres, de ne pas être l’universalité de la contestation. Il y a d’autres approches, d’autres combats, d’autres sujets, d’autres manières de faire. Le Jaune n’est qu’une des sept couleurs de l’Arc-en-Ciel, et encore il ne s’agit là que de l’une de ses nuances qui tend vers le bleu par le vert ou vers le rouge par l’orange, sans allusion aucune à certaines connotations de ces couleurs. Il faut accepter les diverses sensibilités et ne pas s’excommunier parce que l’on n’a pas les mêmes références et les mêmes idées.
Dans l’univers de Tolkien, contre les forces du mal, il y a de nombreux peuples très différents qui s’allient tout en ne partageant pas toujours les mêmes objectifs et les mêmes stratégies. Il y a les Hauts Elfes qui sont plutôt du côté de la mystique. Il y a les Elfes des Bois sensibles à l’écologie. Il y a les Nains férus d’industrie et de commerce. Il y a les Hobbits de la Comté qui ont le soucis de la famille et la vie. Il y a le Gondor qui porte le poids de l’histoire et de la culture. Et il y a le Rohan composé de chevaliers épris de liberté, épris de la joie de vivre dans de vastes horizons. Je souhaite que les Gilets Jaunes soient de ces derniers, de ces chevaliers aux grands cœurs et qu’ils sachent conquérir leurs lettres de noblesse en se mettant au service, non de leurs propres intérêts uniquement, mais surtout au service du bien commun. Je souhaite qu’ils entrent dans un combat plus vaste qu’un simple coup de gueule fugitif. Il est légitime de mener bataille contre ceux qui nous empêchent de vivre. Ne pas le faire conduirait à laisser s’installer une situation inique. Mais ce qu’il faut finalement chercher, c’est que cela conduise à bâtir ensemble une société plus juste, où chacun puisse davantage œuvrer pour le bien de tous et de chacun, selon ses capacités, ses désirs et ses talents, et en commençant dans sa famille, son quartier, son village, sa ville et sa région. Responsabilité et Bien commun. Et non Égoïsme et Lâcheté, ni encore moins Corruption et Tyrannie, ou Facilité et Violence.
Les Gilets Jaunes se doivent de donner l’exemple. C’est à ce prix qu’un changement réel aura lieu. C’est un engagement moral qui doit être clair et identifié pour pouvoir avancer d’un pas juste et assuré, et dans la durée, vers une authentique victoire. Puisque la démocratie est le pouvoir du peuple, alors reprenons le pouvoir d’agir dans le monde qui nous entoure pour le rendre ensemble un peu meilleur qu’il n’est.
Et sur ce dernier point, l’on ne doit plus se fermer les yeux sur le fait que le monde ne tourne par rond. Quand l’on apprend le nombre d’esclaves modernes dans nos pays, se comptant par centaines de milliers, dans des ateliers clandestins, sur nos chantiers, enfermés dans des immeubles et des maisons, avec la complicité de nombreuses entreprises, et que les autorités la plupart du temps ferment les yeux, on voit se préparer l’air de rien dans ces ateliers un monde de demain fait de maîtres et d’esclaves. Il est temps que le Rohan se lève, et réclame sa liberté et sa capacité d’agir, et s’engage pour un autre monde.