Liberté de conscience

Selon l’Évangile, le plus grand des commandements, celui qui résume tous les autres, c’est celui de la charité : aimer Dieu et aimer son prochain, de l’amour même de Dieu (Mt 22, 37-40). Mais comme on aime à le dire : l’amour se fait dans la vérité. Il faut aimer en vérité. L’erreur produit le désordre et le malheur… La vérité permet à la vie de s’épanouir. Elle permet à des amis et à des amants de cheminer ensemble dans une union de cœur. La vérité se reconnaît progressivement dans la conscience qui juge de chaque chose, et permet de choisir le vrai bien. C’est un chemin que l’on emprunte durant toute sa vie : il est fait d’erreurs et de réussites, de déceptions et de grandes joies.

Au sujet de la vérité, Jean-Paul II nous a rappelé dans Veritatis splendor qu’il y a deux impératifs moraux fondamentaux : celui de chercher la vérité, et celui de la choisir une fois trouvée. Ces deux impératifs vont ensembles. Ils fondent la liberté de conscience. Nul ne doit être embêté dans ses choix de conscience, s’il garde vif son désir de quête de la vérité. Mais on ne peut invoquer la liberté de conscience si l’on ne cherche plus la vérité, si l’on se façonne une vérité selon ses envies. C’est là qu’il faut remarquer que notre conscience n’est pas un absolu auto-référencé : elle doit être en relation avec Dieu, avec la Vérité, avec le Bien. Et dans cette relation, elle doit chercher à s’ajuster pour correspondre de plus en plus à ce Vrai Bien qui la dépasse. Et le Vrai Bien est Beau et Bon : il nous fait entrer dans un dynamisme de vie réjouissant.

Mais il y a une autre erreur qui peut nous conduire dans l’impasse. C’est celle de penser que ce travail de la conscience, de chercher la vérité et d’y adhérer une fois trouvée, se fait dans la solitude de notre conscience absolument seule en elle-même ou devant Dieu. Ce fut l’entreprise, par exemple, de Descartes. Il espérait trouver dans sa conscience seule une certitude absolue. Cela peut sous certaines réserves fonctionner dans certains domaines, comme les mathématiques. Mais, en général, cela ne peut conduire inévitablement qu’à l’erreur, et à se créer sa propre vérité. C’est finalement un relativisme qui se fonde non pas sur le rejet d’une vérité objective, mais sur la croyance que nos facultés personnelles sont capables d’émettre par elle-même un jugement certain. Et alors, cela conduit à avoir chacun sa propre vérité.

En fait, la quête de la vérité et de la certitude est une entreprise collective, et non pas individuelle. Je cherche dans la relation à l’autre et dans l’ouverture à la communauté des personnes, les lieux qui me permettent d’atteindre la vérité, d’atteindre la certitude. Je trouve des lieux d’autorité qui me sont des poteaux indicateurs de la vérité, et du bien à poser. Et, c’est alors à ma conscience personnelle, entrant en elle-même, de reconnaître que ces lieux sont des lieux d’autorité. C’est à ma conscience de reconnaître dans ce vaste ouverture au monde où est la vérité, où est le vrai bien. Il y a là un acte personnel que nul ne peut faire à ma place, et que nul ne peut me contraindre à faire. C’est un chemin progressif dans la vie, où il est bon de s’appuyer d’abord sur ce que l’on reçoit de notre entourage immédiat, pour ensuite élargir progressivement notre horizon au travers des lieux qui nous interpellent et nous font du bien ; et en sachant confronter, dans la mesure de ce qui est convenable et raisonnable, nos pensées et postures à celles de ceux qui pensent et agissent différemment de nous.

Bien sûr, je peux moi-même cheminer vers la vérité, trouver des lumières que je ne trouve pas chez les autres… Mais, c’est toujours en continuant à rester ouvert à ce qui me vient du vaste monde. Et je fonde alors ma certitude, non pas uniquement sur mes propres raisonnements, mais sur l’écho que tout le vaste monde fait en moi-même, et qui me permet dans ces raisonnements d’y discerner la vérité. Bien sûr, il y a un tri à faire dans mes raisonnements et dans ce qui me vient du vaste monde ; et cela se fait en moi-même. Mais ce tri se fait dans un mouvement d’ouverture toujours plus grand à tous les êtres du monde, et non en me fermant sur mes propres certitudes. C’est pour cela qu’une ouverture plus grande au monde arrivant par la suite ne peut que renforcer la certitude de ce qui est vrai, et faire tomber ce qui s’appuyait sur de fausses certitudes. Et je pourrai alors apporter aux autres les parcelles de vérité que j’aurai trouvées : je serai moi aussi un poteau indicateur de la vérité. Et ainsi, par la communion qui s’installe entre les personnes et avec tous les êtres, par ce chemin que nous faisons tous les uns avec les autres, c’est la grande fresque de la vérité, de ce qu’est le monde, de ce qu’est Dieu, qui va se dessiner dans tous les cœurs ; et nous pourrons alors déployer nos vies dans cet admirable tableau. C’est une grande aventure !

Cela est vrai aussi pour la Révélation. Dans notre ouverture au monde, nous y discernons la voix de Dieu qui s’est exprimée et s’exprime encore par des paroles, par des évènements, par des vocations… Plus nous ouvrons notre cœur au monde immense qui nous entoure, plus nous avons la certitude que Jésus-Christ est Dieu, qu’il est sa Révélation. Nous avons cette certitude par la grâce de Dieu qui nous rejoint au travers de notre ouverture de cœur. Nous découvrons l’Église comme lieu pour Le rencontrer. Et nous discernons dans notre conscience que la voix de Dieu s’exprime d’une manière infaillible dans le magistère de l’Église, sous les formes établies : nous découvrons le charisme pétrinien comme lieu d’autorité. Et nous découvrons aussi autour de nous d’autres lieux par lesquels la voix de Dieu s’exprime personnellement pour nous : pour nous faire comprendre qui il est, quel est son projet, quelle est sa Volonté… C’est un dialogue incessant dans notre conscience avec Lui, au travers de tout ce qui façonne notre vie.

La vérité n’est pas individuelle… Elles est communautaire… Elle se trouve dans une vie de communion… Elle est un chemin que nous empruntons tous ensembles… Elle ne peut pas nous être imposée contre notre gré, mais nous devons chacun la chercher… Nous pouvons nous tromper, nous pouvons errer… Mais si nous gardons le cœur ouvert à la communion, à l’amour, et à la quête de la vérité, celle-ci finira toujours par triompher en nous. Et il est de notre devoir de transmettre, dans l’amitié et au moment opportun, les parcelles de vérité que nous avons pu contempler.

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Dans le livre de l’Apocalypse, il est dit (Ap 6, 5-6) :

« Lorsqu’il ouvrit le troisième sceau, j’entendis le troisième Vivant crier : « Viens ! » Et voici qu’apparut à mes yeux un cheval noir ; celui qui le montait tenait à la main une balance, et j’entendis comme une voix, du milieu des quatre Vivants, qui disait : « Un litre de blé pour un denier, trois litres d’orge pour un denier ! Quand à l’huile et au vin, ne les gâche pas ! » »

Nous pensons que ce passage fait référence à un rejet de la liberté de conscience dans un monde où tous nos actes seront mesurés et comptés… On ne pourra plus faire ce que l’on veut, ni dire ce que l’on pense, soumis à ceux qui détiennent l’argent et la puissance de l’ingénierie.

Aujourd’hui, en nous en remettant de plus en plus à des experts… En renonçant à exercer notre propre liberté de conscience pour discerner la vérité dans l’écho de tout ce qui nous vient du vaste monde… Car nous ne cherchons plus la vérité… Car nous nous contentons souvent d’une écoute parcellaire, centrée sur quelques médias, et sur quelques autorités civiles… En n’écoutant plus le cri des pauvres… En ne voulant pas remettre en cause nos certitudes et nos sécurités quand nous découvrons de nouvelles réalités… En ne voulant pas prendre les chemins que nous croyons discerner tant bien que mal… En nous donnant bonne conscience car nous suivons la majorité… Nous allons finir en dictature…

Nous sommes tous responsables du chemin communautaire de l’humanité vers la vérité, vers le vrai bien… Chacun de nos actes compte.

Si les choses suivent leur cours actuel, nous pensons que nous avons trois ans pour tenter d’infléchir la pente descendante, et donner au plus grand nombre le goût de la liberté de conscience et de la quête de la vérité… Après il sera trop tard. Le relativisme ambiant va se transformer en dictature… Il faut créer des oasis de liberté. Il faut créer des lieux où l’on aime faire le bien, le chercher, le choisir… Pour que la vie se déploie joyeusement pour le bien de tous.

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