Adoration du soir et adoration du matin. Soleil couchant et soleil levant. Force centripète et force centrifuge. Union au Christ et vie interpersonnelle. L’amour nous tourne vers l’intérieur et vers l’extérieur. Dans la famille et dans la cité. La perfection de l’amour est d’être une communauté de familles. À chacun de s’ajuster pour ne pas s’enfermer dans l’individualité. Celui qui rompt la symphonie de l’amour ne trouve vers l’intérieur que lui-même, et veut que les autres à l’extérieur ne soient encore que lui-même.
Le Christ se fait petit enfant pour naître dans nos cœurs, comme il est né chez Marie et Joseph, et amener une unité de communion où nous sommes tous différents, tout à la gloire de la Trinité d’Amour. Le mystère de Noël est un mystère à vivre et pas seulement à regarder. Nous ne sortirons de nos égarements qu’en accueillant le Christ Petit Enfant pour former une communauté de croyants tous à l’image de la Sainte Famille.
Alors que le rapport sur la pédophilie dans l’Église de France vient de paraître tel un séisme qui va faire beaucoup de bruits, et que le monde par bien des aspects semble en grande difficulté, nous fêtons aujourd’hui la saint Bruno. Celui-ci est le fondateur de l’ordre des Chartreux. À mon sens, c’est le plus grand saint de l’Église d’Occident, car sa spiritualité est la plus contemplative, et son ordre est celui qui a le plus porté ce monde par la prière. Inconnus de beaucoup, les chartreux sont des petites âmes données à Dieu qui permettent à l’humanité de cheminer à travers l’histoire en dépit de tous les dangers. Ils se sont tenus tel saint Jean-Baptiste le Précurseur dans le désert attendant l’Époux. Ils se sont tenus tel saint Jean au pied de la Croix. Ils se sont tenus telle sainte Marie-Madeleine témoin de la Résurrection devant le tombeau vide. La devise de cet ordre est : « Le monde tourne, la Croix demeure ». Grâce à eux, les grâces coulent sur le monde. Grâce à eux, l’Esprit-Saint et les bons anges se répandent partout.
Depuis plusieurs décennies, l’Ordre de Bethléem, de l’Assomption de la Vierge et de saint Bruno, qui se réclame de cette spiritualité, peut permettre à ceux qui le souhaitent de goûter quelque peu à cette vie du saint désert et d’entrer dans l’adoration du Père.
C’est dans ce désert, qu’il y a maintenant plus de onze ans, alors que je pensais y passer bientôt ma vie, une lumière s’est laissée voir à mes yeux lors d’un séjour là-bas, après une nuit d’adoration. Bouleversante, surprenante, inattendue. Il m’a fallu de nombreuses années pour en percevoir quelque peu le contour. Accouchant dans la douleur, j’ai fini par y trouver une immense joie, et comprendre qu’il s’agissait là du Vin Nouveau de l’Évangile.
C’est celle dont nous avons témoignée ici : Montre-nous le Père, cela nous suffit et Communauté de Familles. Elle permet de mieux saisir beaucoup de choses, de les voir sous un angle renouvelé, comme ces réalités de la masculinité et de la féminité qui posent beaucoup questions aujourd’hui : cf. Hommes et Femmes dans le plan de Dieu. J’ai suffisamment cherché, et questionné des théologiens, pour savoir qu’il n’y a rien dans cette lumière qui soit contraire à la foi de l’Église, à l’Écriture et à la Tradition. Seulement, il faut bien voir que notre Dieu est bien au-delà de nos pensées, et qu’il y a encore des choses à découvrir. Elles sont contenues dans la Révélation, mais elles n’ont pas encore été explicitées. Tant que l’Église n’a pas tranchée sur ces questions, il n’y a pas d’hérésie à penser qu’elles sont vraies ou fausses. Mais le jour où l’Église tranchera par le charisme d’infaillibilité, dans un sens ou dans l’autre, alors il faudra adhérer à ce qui sera devenu un dogme. Pour le moment, il est bon qu’il y ait du débat.
Le Forum de Davos qui influence beaucoup les élites mondiales a choisi pour thème de ses rencontres en mai à Singapour : « la Grande Réinitialisation ». C’est aussi le titre d’un livre du fondateur de ce forum, Klaus Schwab, écrit l’année dernière à l’occasion de la crise que nous traversons. Le monde serait comme un programme informatique devenu fou dont il faudrait faire table rase pour mettre en place un nouveau logiciel plus performant. Il s’agit de passer du monde d’avant qui est en échec, au monde d’après.
Quand on connaît certains principes de la pensée hégélienne qui sous-tendent le monde moderne, cela fait peur. Tout y est vu sous forme d’opposition et de négation, et c’est en détruisant que l’on crée du neuf.
Quand on connaît les tendances de l’esprit contemporain, animé par exemple par le principe de disruption, cela fait peur. Il s’agit de sortir de tout ce qui nous limite et nous freine, pour, dans la désintégration de ce que nous avons été, faire advenir ce que nous voulons être.
De tels schémas de pensée ne mènent qu’au chaos et à la mort. Et, en l’occurrence, ils sont utilisés par ceux qui détiennent la puissance et l’argent pour des intérêts qu’il nous serait difficile de considérer pour le bien des gens.
C’est pourquoi, au lieu de la Grande Réinitialisation, nous prônons la Grande Rénovation. Notre monde est une Maison Commune à rénover. Des choses sont abîmées, des choses ont vieillies, à certains endroits elle prend l’eau. Il faut la restaurer.
On n’habite pas un logiciel. Alors que l’on habite une maison, comme on habite le monde. La métaphore du logiciel ne peut donc fonctionner quand il s’agit d’un sujet aussi délicat que de changer le monde. Alors que celle de la maison vient d’une expérience première et fondamentale qui nous parle de notre lieu de vie, comme l’est le monde.
Et voilà ! Encore un article sur la crise actuelle. À quoi bon finalement ajouter encore à la cacophonie ambiante et parler encore de ce sujet ? La psychose qui se généralise dans notre société devrait nous conduire à ne plus y penser et à nous intéresser à d’autres sujets pour sortir de cette crise en nous renouvelant par l’attention au mystère de la vie sous toutes ses formes. Pourtant, la question poignante de chercher le sens de tout cela nous habite et nous pousse à écrire encore là-dessus, en espérant que ce soit la dernière fois. Ce n’est pas finalement la peur, la colère ou le dépit qui nous presse en ce sens, mais l’enthousiasme pour l’œuvre que Dieu a réalisé, qu’il réalise aujourd’hui et qu’il compte réaliser demain.
Et pourquoi parler à nouveau de ce que nous disons par ailleurs de mille manières ? C’est que nous cherchons ici à aller à l’essentiel, à la fine pointe de ce qui est important pour aujourd’hui.
Alors quel est le sens de cette crise ? Vers quel avenir devons-nous porter nos pas ?
Je voudrais partager cette idée que nous sommes un peu comme les rois mages qui suivent une étoile qui doit les mener à la Crèche. Notre civilisation qui a vieilli et qui est fatiguée ne peut selon nous se renouveler qu’en entrant à nouveau dans le mystère de Noël. Bien sûr, toute grâce vient du mystère pascal. Mais le mystère de la Nativité, de cet enfant qui est Dieu et qui se rend visible entre Marie et Joseph dans une humble étable, est celui qui peut nous redonner le goût de la vie. C’est un mystère qui fait la joie des enfants, et qui unit les familles. C’est un mystère où le ciel s’ouvre et où les anges se mettent à chanter la gloire de Dieu. C’est le mystère de l’Incarnation : celui d’un Dieu qui se fait chair, celui d’un amour qui se manifeste par des gestes, des regards, des sourires, des repas, des étreintes, des présents, celui des anges qui agissent concrètement pour nous aider et nous accompagner.
C’est ce mystère de Noël qui fut, selon des traditions assez anciennes, l’objet du choix des anges qui l’ont vu par anticipation : Allaient-il servir l’Enfant-Dieu ? Allaient-il servir le mystère de Noël ? C’est ce mystère qui est sous-jacent aux combats d’aujourd’hui.
Et nous : Allons-nous servir le mystère de Noël ? Allons-nous servir le mystère de l’Incarnation ?
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