Jean Vanier, le fondateur de l’Arche, a rejoint le Père. Il a vécu d’une manière exemplaire la révolution de la tendresse proclamée par l’Évangile du Christ conduisant à trouver dans nos pauvretés des lieux pour aimer. « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 34-35). Se laver les pieds les uns les autres à la suite du Christ, voilà l’Évangile. Voilà l’Arche qui a été construite pour nous préserver du déluge : l’amour que nous avons les uns pour les autres à la suite du Christ.
Car un déluge, il va bien en avoir un. Notre monde vacille sur ses bases : de fait, il a construit sur le sable, loin de l’Amour de Dieu, loin du Christ. Il va tomber comme le colosse au pied d’argile du livre de Daniel (2, 31-45). Il va tomber, non pas d’un coup, mais lentement, progressivement, avec les mois et les années tout au long de ce millénaire qui nous attend. C’est un basculement, un renversement. Là où le mal et le bien croissaient ensemble comme l’ivraie et le bon grain dans un champ, arrive ce temps de la moisson, où l’ivraie est retiré pendant que le bon grain est mis au grenier (Mt 13, 24-30).
C’est donc pour nous une moisson qui est à venir, et il faut se mettre à l’ouvrage, plein d’espérance et d’enthousiasme pour cette belle mission qui nous attend. Mais comment va se faire un tel renversement ? Comment peut-on espérer l’effondrement des puissances des ténèbres, alors qu’il nous est annoncé l’échec de la Croix pour arriver dans le Royaume de Dieu ? C’est bien en effet l’échec de la Croix qui nous attend. La Croix va passer successivement dans toutes les réalités du monde pour y porter la Résurrection. Nous irons d’échec en échec, et tout échec finira par la grâce de Dieu en victoire. Il nous faut semer, bâtir, et dans la Croix trouver la Résurrection.
L’eau a jailli du côté du Christ il y a deux mille ans, et elle s’est répandue dans le monde par l’est (Ézéchiel 47, 1-12), pour que les hommes reviennent abreuvés de cette eau par l’ouest. L’eau va jaillir à nouveau pour unifier le monde, pour le fonder en Dieu ; cela se fera par la Croix. C’est que notre approche du mystère chrétien est encore bancale : elle ressemble à une arche dont il n’y aurait qu’un seul côté à être debout. Nous connaissons la Vierge Marie, mais connaissons-nous vraiment Saint Joseph ?
Le mariage de Joseph et Marie est à l’image de l’union du Christ et de l’Église. Avons-nous assez médité cette réalité ? Bien sûr, dans leur union, ils sont chacun le Christ s’unissant à l’Église, l’Église s’unissant au Christ. Mais, Joseph, par sa masculinité, fait figure d’un autre Christ s’unissant à cette icône de l’Église qu’est Marie. Et le Christ, leur enfant, vient sceller leur union, vient les épouser par la filiation.
Souvent l’Église d’aujourd’hui nous montre le mystère de la Vierge à l’Enfant en excluant Saint Joseph. Et nos assemblées très féminines se retrouvent face à une hiérarchie très masculine. Et l’on peine à trouver la place des hommes dans la communauté des fidèles. Et l’on peine à trouver la place des femmes dans la hiérarchie de l’Église. Au lieu d’être une famille unie dans un mystère homme-femme-enfant où chacun à sa place, nous nous retrouvons dans un mystère de famille monoparentale sans relation d’épousailles. En fait, nous affirmons que l’effondrement progressif de la civilisation occidentale au cours des derniers siècles, à la suite de celui de l’empire d’Orient, est due principalement à l’échec de la spiritualité chrétienne pour percevoir la place du masculin, du féminin et de l’enfantin dans son propre mystère. La foi s’est affadie car nous n’avons pas compris l’amour de Dieu.
C’est l’orgueil qui nous a détournés de ce mystère. C’est l’orgueil qui nous a empêchés de voir et de comprendre. C’est l’orgueil qui nous a conduits à nous emparer des éclats de lumière que nous avions perçus pour bâtir un monde à notre mesure. Nous avons voulu être grand, plus grand que les autres. Nous avons voulu éclairer les autres de notre lumière. Combien de chrétiens sont tombés loin du Ciel et se sont voués aux ténèbres pour avoir pensé, désiré, voulu avoir une gloire plus grande que celles des autres au Ciel ? Les pays d’anciennes chrétienté sont tombés dans les ténèbres, car ils ont pensé avoir au Ciel une gloire plus grande que celles des autres. Ils ont pensé que leur vocation était d’illuminer éternellement le monde.
Pour notre part, nous ne voulons et désirons avoir au Ciel que le même degré de gloire qu’auront tous ces enfants morts avant l’âge de raison. Dieu sait donner de la gloire à ceux qui n’ont rien fait. Alors c’est les mains vides que nous voulons arriver au Ciel, n’ayant chercher sur la Terre qu’à donner de la gloire aux autres, pour recevoir des mains de Dieu cette même gloire qu’auront ces petits enfants si chers aux yeux de Dieu. Ne soyons pas de ces bergers qui se paissent eux-mêmes (Ézéchiel 34, 1).
Combien ont fait des différences au sein de l’humanité, en prenant ce qui n’était que la représentation passagère d’une spiritualité angélique pour la spiritualité propre d’un membre de l’humanité ? Le monde des anges est hiérarchisé en chœurs. Il chante la gloire de Dieu en en chantant ses divers attributs. Et nous-même sommes appelés successivement, dans une rotation des fonctions, à divers degrés hiérarchiques, à représenter divers anges de divers chœurs. Jean Vanier a représenté l’ange de la Tendresse. Mais ce n’est pas pour autant qu’il est différent de nous ; et nous-mêmes, en ce monde ou dans l’autre, représenterons au moment voulu par Dieu un ange d’un même degré hiérarchique. Notre monde n’a pas compris l’essence même de la hiérarchie et celle de la constitution de l’humanité comme corps, car il n’a pas compris le monde des anges et son interaction avec nous. L’ancienne chrétienté avait le sens de la hiérarchie, mais d’une manière figée, sans rotation de fonction, sans voir l’égalité des membres de l’humanité. C’est une autre cause de son effondrement. Il arrive le temps où nous parviendrons à la juste compréhension de tout cela.
Joseph et Marie échappent à ces rotations de fonction. Ils sont pour toujours Roi et Reine de l’univers, au nom du Seigneur Jésus-Christ. Ils sont roi et reine de tous les anges. Et nous sommes leurs enfants.
Bientôt va venir le déluge, quand l’Église aura scellé de son sceau l’accueil de ses noces éternelles avec son Époux, le Christ, en acceptant de vivre la Croix. Cela se fera en accueillant d’une manière définitive le mystère de la Sainte Famille comme constitutif fondamental de toute spiritualité : celle de chaque Personne divine, celle des anges, celle de l’humanité. Ce sera cette pierre qui se détache de la montagne pour faire tomber le colosse au pied d’argile. Ce sera ce caillou du petit David qui met à terre le grand Goliath. Car Dieu enverra ses anges pour garder son Alliance, et jaillira au cœur des ténèbres la Civilisation de l’Amour.
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