Commentaire de Gn 2, 4 – 3, 24 :
Tout le monde connaît ce récit des premières pages de la Genèse qui nous parle d’un jardin à l’orient où vécurent nos premiers parents. On y trouve un arbre de vie en son centre, ainsi qu’un arbre de la connaissance du bien et du mal. On y trouve quatre fleuves, ainsi que des animaux, dont le fameux serpent qui tenta Ève, et nous mena à la chute, à l’exclusion de ce jardin et à l’irruption de la mort.
Ce serpent et sa parole trompeuse sont comme une disharmonie dans ce jardin primordial venu de la bonté de Dieu. Nous pouvons nous demander d’où vient cette malveillance qui nous mena au désastre ?
Il faut se rappeler que la création des hommes fait suite à la création des anges et à leur propre détermination pour ou contre Dieu. Certains choisirent de Le servir pour l’éternité en entrant dans le mystère de l’amour. D’autres optèrent pour la rébellion en s’éloignant de la communion pour laquelle ils avaient été créés. Ce serpent rusé que l’on voit ici apparaître est un démon, le prince des démons, le Satan, qui entre dans le jardin des hommes pour le détruire.
Les démons étaient une réalité de ce monde créé par Dieu dans lequel nos premiers parents se sont ouverts à l’existence. Ils auraient pu résister à leurs assauts s’ils n’avaient pas joué avec la tentation ; mais ils se sont laissés séduire. Ils ont cherché à connaître cet arbre de la connaissance du bien et du mal. Car c’est de cela qu’il s’agit : connaître ce mal qui est d’abord celui des démons, et par la suite celui de l’humanité. Le connaître, c’est-à-dire l’expérimenter. Cet arbre était dans le jardin, car il était dans la création : les démons existaient. Mais il ne fallait pas en manger, même s’il était sûrement possible de toucher cet arbre et ces fruits, c’est-à-dire d’approcher progressivement ce mystère du mal qui avait fait irruption dans la création bonne voulue par Dieu. Mais nos premiers parents ont fini par penser, tentés par le diable, qu’il fallait s’unir à ce mal pour arriver à leur accomplissement. Ils connaîtraient ainsi le bien et le mal, tout ce qui est dans la création, et seraient comme des dieux qui connaissent toute chose. Ils ont perdu de vue que Dieu était le Dieu du Bien et non du mal, que Dieu était le Dieu de la Vie et non d’un repli sur soi et sa propre connaissance.
Car il y a un glissement qui s’opère dans la représentation du jardin. Au début, c’est l’arbre de vie qui est au centre, puis, avec l’arrivée du serpent, celui-ci disparaît pour ne laisser la place qu’à celui de la connaissance du bien et du mal. Ce qui est notre centre n’est plus la vie qui se déploie dans l’amour, mais c’est de connaître, c’est-à-dire d’être uni, au bien et au mal, à tout ce qu’est la création, pour être quelque part comme un dieu résumant en lui toute la création. C’est un amour de fusion. Quand il s’agit de l’arbre du centre dont les fruits fondent notre existence, il ne s’agit plus d’un savoir, d’une compréhension, d’une appréhension, mais de ce qui fait notre tout, notre origine, notre fin, notre vie. Si on met dans ce centre l’arbre de la connaissance du bien et du mal, il s’agit de résumer en soi tout le bien et tout le mal. Il s’agit de connaître cette réalité non seulement pour la voir, mais pour la manger, pour être unis à elle, pour ne faire qu’un avec elle.
La vie a laissé la place à la connaissance. Et à une connaissance qui nous referme sur nous, loin de la source divine, pour être nous-même le grand orchestrateur du bien et du mal. Car qui est celui qui est bien en tant qu’il est et qui est mal en tant qu’il choisit le mal, si ce n’est le démon et tous ceux qui l’ont suivi. L’arbre de la connaissance du bien et du mal désigne donc les démons et tous les êtres déchus. Ainsi au lieu de cette vie divine qui nous rejoint dans une communion, nous avons voulu être comme le diable dans une fusion, qui est aussi une dispersion. Mais celui qui connaît le bien et le mal, c’est aussi le Christ qui est le bien par excellence et qui prend sur lui le mal pour le changer en bien. Et c’est donc aussi tous les saints à la suite du Christ. L’arbre de la connaissance du bien et du mal, c’est l’arbre de la déchéance, mais c’est aussi celui de la rédemption. C’est l’arbre d’un mystère qui était trop difficile à appréhender pour nous, si l’on ne restait pas en communion avec la vie de Dieu venant de l’arbre de vie.
Alors Dieu nous a chassés du paradis, pour que nous ne puissions plus continuer à manger de l’arbre de vie. Car si nous continuions à en manger, nous n’aurions pas connu la mort, et aurions vécu éternellement dans cet état de refermement sur nous-mêmes. Cet état de refermement était une fermeture à la vraie vie qui vient de Dieu ; notre choix était déjà en quelque sorte une fuite loin de l’arbre de vie. Et c’est pour nous rappeler à la vraie vie que Dieu nous a chassés loin du paradis : il voulait que, par sa grâce, nous puissions en reprendre le chemin et revenir à l’arbre de vie en nous étant purifiés du mal. C’est ce qui arrivera par l’arbre de la Croix qui est l’Arbre de Vie où le Christ nous réconcilie avec Dieu et nous donne la vie en abondance. Là le mal vient se briser sur celui qui est le Bien et le Bon. Là, les deux arbres ne font plus qu’un.
Le choix est clair. Il s’agit soit de s’ouvrir à la vie de Dieu, à ses merveilles, à ses projets, à son amour, à ce qu’il nous révèle et nous fait vivre, au rythme qu’il a choisi pour nous, en étant conscient que ses pensées sont bien au-delà des nôtres. Il s’agit d’accueillir Dieu lui-même qui s’est fait l’un de nous, qui s’est fait Enfant et qui répand sur nous son Esprit. Et d’entrer, portés par cette vie, dans le mystère de la Croix. Ou alors, il s’agit de vouloir connaître toute chose pour agir comme si l’on était sa propre source, en ne connaissant finalement que ce bien et ce mal qui est celui des créatures, fussent-elles angéliques, et prendraient-elles l’apparence de Dieu. Il s’agit d’un côté d’accueillir l’Alliance avec le Dieu trois fois saint qui veut faire irruption dans nos vies à l’intime de nous-mêmes. Ou il s’agit de faire de notre propre spiritualité le fondement et l’aboutissement de toute chose pour être les maîtres de nos existences.
Il y a la vie et la mort, l’amour et la haine, la communion et la division. Il y a la Croix portée par la vie divine où le mal disparaît devant le bien. Et il y a le rejet de la Croix, ou plutôt sa falsification, en refusant la vie qui vient de Dieu et en se contentant du bien et du mal qu’il y a en nous. Il y a le Christ qui est à notre porte et qui frappe, voulant sceller ses noces avec nous. Et il y a le tentateur qui nous susurrent de vivre une vie à notre mesure, ou plutôt à sa mesure à lui, mais qui n’est pas encore la mesure de Dieu. C’est la mesure d’un ange rebelle connaissant le bien et le mal. Ce n’est pas ultimement la tentation d’un athéisme, mais celle d’un théisme avec Satan pour Dieu, et où il s’agit d’être comme lui, connaissant le bien et le mal. C’est le cumul d’un théisme satanique et d’un athéisme divin. Un Dieu qui connaît en même temps le paradis et l’enfer, et qui nous fait vivre chacun en même temps le paradis et l’enfer… Dans ce monde satanique, tout s’oppose ; et tous les contraires se trouvent ensemble dans l’opposition. C’est une falsification de la Croix, car ils la définissent comme une Croix qui se veut éternelle : l’aube de la Résurrection n’y rejoint pas toute chose ; l’arbre de la vie n’y est pas premier par rapport à la connaissance du bien et du mal.
Alors ouvrons les portes au Christ, accueillons son Esprit, et laissons-nous refaire par sa vie. Cherchons le chemin de la vie et de l’amour, celui des rencontres interpersonnelles faites de don et d’échanges. Cherchons le chemin de la communion incarnée et de la commune unité transfigurée. Et ce n’est que portés par ce flot de vie et d’amour qu’il nous faut entrer dans une connaissance des mystères. La gloire de Dieu et le but de tout, c’est la célébration de la vie et de l’amour. Toute connaissance n’a de sens qu’à cette lumière.
La chair est le lieu de la manifestation de cet amour, car tous nos mouvements spirituels se vivent dans une certaine mesure aussi dans la matière qui sert de signe pour les faire transparaître et de moyen pour les réaliser. Le démon ne va faire que s’opposer au déploiement de la vie et de l’amour par et au travers de la matière. L’œuvre du diable, c’est la mort, qui est avant tout une brisure introduite entre la spiritualité et la matière. La grâce de Dieu aurait dû nous en préserver. Mais le diable nous éloignant de cette grâce nous a aussi éloignés de l’harmonie entre la spiritualité et la matière. Cela se voit chez Adam et Ève qui ont alors peur de leur nudité, alors qu’elle a lieu, dans ce jardin originel, au sein de la conjugalité.
Alors, pour retrouver le chemin de la grâce, nous avons les sacrements, qui se vivent dans la matière. Pour retrouver le chemin de la communion, nous avons l’Eucharistie qui se vit dans la matière. Pour retrouver la présence de l’Éternel, nous avons la blanche Hostie. Et c’est autour de cet amour qui se manifeste dans la matière qu’un monde de vie et d’amour pourra se déployer dans l’unité. C’est là que se trouve l’Arbre de Vie. Il y a trop de dangers à nous retrouver à nouveau devant l’arbre de la connaissance du bien et du mal comme centre mortifère de l’existence si nous n’allons pas à la blanche Hostie et si nous nous contentons de soi-disant mouvements spirituels. Il est urgent d’encourager et de promouvoir l’adoration de Jésus-Hostie. Ce Jésus qui quand on communie à son Corps et à son Sang vient vivre en nous, à nos côtés, comme cette Hostie qui est là devant nous.