« Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les gens.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville, située sur une montagne ne peut être cachée ; et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. » Mt 5, 13-16.
C’est un évangile très connu. Mais qui a peut-être souffert ces derniers temps d’une lecture un peu trop individualiste. Il s’agissait pour les chrétiens de s’immiscer au milieu du monde comme le levain dans la pâte pour le transformer progressivement. J’ai bien peur qu’avec une telle approche l’on passe à côté de l’essentiel. Car le sel de la terre et la lumière du monde sont avant tout nos communautés chrétiennes. Nous sommes une religion de l’amour, de la relation, de la vie et du don. Et ce sont donc des lieux de vie, d’amour et de relation qui témoignent de l’Évangile. « A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 35).
Ce que le monde a besoin pour croire, c’est de découvrir des communautés où l’on vit simplement et joyeusement de l’Évangile. Ces communautés, par ce qu’elles sont, illuminent ce monde et le transforment. Cela peut être des communautés religieuses ou paroissiales. Mais cela peut être aussi toutes communautés de fidèles chrétiens qui portent ensemble des projets sociaux, culturels, solidaires, artistiques, écologiques ou d’évangélisation. Cela peut être des lieux de vie, des lieux de passages, ou des lieux conviviaux. Et si les chrétiens y prient ensemble, y partagent sur l’Évangile ensemble, y ont le soucis missionnaire et le soucis des pauvres, y aime notre Seigneur Jésus-Christ, alors une telle communauté devient une étoile dans le ciel du monde pour l’éclairer de sa lumière.
Bien sûr, être immiscé au milieu du monde permet d’amener les gens dans ces communautés chrétiennes. Mais si elles n’existent pas, alors les efforts risquent d’être vains.
Il est illusoire de penser qu’un chrétien seul dans un monde non chrétien peut vraiment arriver à l’évangéliser, et ce même s’il rejoint sa communauté chrétienne chaque dimanche pour la messe. Un non chrétien qui viendrait à la messe un dimanche risque d’être très dépité de ne rencontrer pas grand monde à la sortie. Il faut créer ou rejoindre des lieux de culture chrétienne et de mœurs chrétiennes pour être un ferment dans la pâte de la grande communauté humaine. L’on constate aujourd’hui une éclosion de ce genre de fraternité chrétienne et missionnaire : des lieux de vie se créent, des groupes d’amis se mettent à vivre ensemble l’Évangile, des espaces de convivialité et de culture chrétienne apparaissent. C’est là l’œuvre d’une nouvelle évangélisation qui est en route. Il ne faut pas s’imaginer que nous arriverons rapidement à rejoindre les masses et à changer les grands mouvements du monde. Il ne faut pas non plus croire que nous arriverons à maintenir toutes les structures ecclésiales et sociales que nous ont laissées nos aînés. Mais il faut croire que la lumière de l’Évangile peut encore percer aujourd’hui, se transmettre et, dans la durée, finir par changer à nouveau la face de la terre.
L’urgence est de créer des lieux de cultures et de mœurs chrétiennes qui vivent par Jésus-Christ et pour Jésus-Christ à l’écoute de son Évangile. Il faut faire du tissu social dans un esprit chrétien. Accueillant, ouvert à tous, mais chrétien.
Mais il y a encore plus urgent, et il ne faut pas l’oublier, si l’on ne veut pas que le sel s’affadisse : c’est de fréquenter et de remplir les monastères. Un navire qui avance en haute mer a besoin de poids au fond de la cale pour ne pas chavirer. Il en est ainsi de l’Église : nous avons besoin de la vie contemplative. Nous avons besoin d’âmes qui se livrent pleinement à l’amour miséricordieux pour que naisse en ce monde une authentique civilisation de l’amour. Sinon, c’est le naufrage assuré.
Que chacun s’examine et cherche les appels de son Dieu. Pourquoi ne pas passer quelques jours de temps à autre dans un monastère ? Pourquoi ne pas rejoindre ou créer avec ses amis une fraternité missionnaire ? Pour partager sur l’Évangile, pour aller voir les pauvres, pour des temps conviviaux ensemble, pour prier ensemble… Point ne sert d’être nombreux, du moment que le Christ soit aimé. Il ne faut pas attendre que cela vienne d’en haut par des prêtres ou des religieux qui ont trop à faire. Comme le dit l’Église, point besoin d’une autorisation pour se lancer dans une œuvre missionnaire, tout laïc peut le faire. Alors haut les cœurs ! Pour le service de Dieu…