Usure et boursicotage

L’Église, dans sa sagesse, a toujours condamné au cours de son histoire le fait de faire de l’argent avec de l’argent. Tout bénéfice doit venir d’un travail. L’argent, lui, ne fait pas de petits. Car il est au service des échanges réels et ne doit pas les remplacer.

Le cas concret sur lequel les penseurs chrétiens ont réfléchi est celui de l’usure. On voit cela par exemple dans la somme théologique de saint Thomas d’Aquin. L’usure consiste à prêter de l’argent et à demander un intérêt pour l’usage de cet argent, d’où le nom d’usure. Or, pour l’argent, à la différence par exemple d’une maison, son usage nous en fait perdre la propriété. C’est aussi le cas de la nourriture qui disparaît quand elle est consommée. On ne peut donc pour l’argent, comme pour la nourriture, faire payer l’usage de celui-ci, en plus de demander à être remboursé, car l’on mettrait alors un prix sur quelque chose qui n’existe pas.

Il est cependant possible de demander pour le prêteur à être dédommagé de la gêne occasionnée par ce prêt. Mais, en aucun cas, il ne peut y avoir de dédommagement sur l’argent qui aurait pu être généré si l’argent n’avait pas été prêté. Il faut demander à être rembourser de la somme prêtée.

On peut aussi suggérer qu’une commission sur l’effort occasionné pour mettre à disposition l’argent est possible ; de la même manière qu’en achetant la nourriture nous payons non seulement la nourriture, mais aussi le travail pour nous la rendre disponible. Mais cela ne doit pas revenir à faire payer l’usage de l’argent.

Se pose aussi la question, dans le monde d’aujourd’hui, de qui doit prendre en charge l’éventuelle inflation de la monnaie. Cela peut être éventuellement l’emprunteur.

Tout cela donne quelques repères pour donner des limites aux systèmes d’emprunts.

Or, le monde d’aujourd’hui repose en grande partie sur l’emprunt. Les personnes empruntent, les entreprises empruntent, les institutions empruntent, les états empruntent. On emprunte pour tout : pour acheter une maison, une voiture, pour faire ses études, pour entreprendre… C’est même l’emprunt qui est à l’origine d’une bonne partie de la masse monétaire, car une banque prête dix fois plus que ce qu’elle a réellement. On pourrait se dire que c’est une opportunité, car cela permet à tout le monde de pouvoir réaliser toutes les choses de la vie, si l’on sait un peu se débrouiller. Mais ce que l’on ne voit pas, c’est que ce qui aurait dû être l’exception est devenu la situation habituelle. Il est normal que quand un groupe ou une famille n’arrive pas à subvenir à tous les besoins de ses membres, l’on trouve des solutions de solidarité. Mais il est anormal que cela soit quasi-systématiquement le cas. C’est donner trop de pouvoir aux instituts financiers ; c’est permettre à certains de faire des profits injustes ; et c’est favoriser l’usure. C’est un système inique, inhumain et qui produit l’injustice.

Mais il y a pire.

Ce sont tous les mécanismes de spéculations. Tous ces produits financiers sur lesquels l’on fait directement et sans scrupules de l’argent avec de l’argent.

Certes, c’est une bonne chose d’investir son argent dans des entreprises, et de toucher une juste récompense pour s’être solidarisé ainsi d’une œuvre commune. Mais il est immoral de chercher à profiter de la variation des valeurs des produits financiers pour se faire de l’argent sans aucune considération pour les échanges réels. Aujourd’hui, les échanges de produits financiers, actions et autres, sont cent fois plus importants que les échanges réels… On est vraiment tombé sur la tête.

Quelqu’un qui investit dans une entreprise ou une œuvre devrait rester solidaire de celle-ci, pour le meilleur et pour le pire, au moins pour une décennie. C’est une question de responsabilité et d’humanité. Ce sont des personnes qu’il y a derrière ces investissements, et non pas des chiffres. Et si l’investisseur décide de reprendre son argent avant une décennie, il devrait être interdit d’investir pendant toute une décennie. Soit on s’engage, soit on ne s’engage pas. Mais on ne peut passer d’un investissement à l’autre sous prétexte de se faire de l’argent sur le dos de tout le monde. Cela revient à faire de l’argent avec de l’argent, à ne plus considérer les échanges réels, à ne plus considérer les personnes. C’est totalement immoral.

Je parle d’acheter une action pour au moins dix ans. Aujourd’hui, on les échange parfois plusieurs fois en moins d’une seconde… C’est un casino géant. Et on s’étonne que le monde aille mal.

Il est écrit dans la première épître à Timothée (6, 9-10) : « Quant à ceux qui veulent amasser des richesses, ils tombent dans la tentation, dans le piège, dans une foule de convoitises insensées et funestes, qui plongent l’homme dans la ruine et la perdition. Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont transpercés l’âme de tourments sans nombre. »

Aujourd’hui, c’est tout notre monde qui est en perdition à cause de l’amour de l’argent. Nous avons fait sauté toutes les entraves pour jouir toujours plus de l’argent, pour que l’argent soit le maître et le roi. Et si c’est la racine de tous les maux, comme le dit l’Écriture, alors il faut s’engager résolument pour faire tomber cette idole.

Je ne crois pas que l’on puisse être vraiment chrétien aujourd’hui et cautionner le système financier. On ne peut pas, on ne peut plus, se compromettre avec lui. Il faut choisir : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent. » (Mt 6, 24).

Il faut oser plus que jamais des paroles prophétiques pour dénoncer ce système. Il faut s’en dissocier. Il faut le combattre et le faire tomber.

Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas emprunter de l’argent pour les besoins de la vie. Mais il faut fuir le système boursier et combattre l’usure et tout ce système d’emprunt. Et il ne faut pas laisser nos banquiers boursicoter avec l’argent que nous mettons sur nos livrets d’épargne. Mon espérance, c’est qu’il y aura beaucoup de Zachée en ce monde qui découvriront qu’il n’est pas bon de faire les profits iniques qu’ils faisaient jusque là, et qui changeront de vie, en remboursant l’argent qu’ils ont volé.

Le mouvement des Focolari a été à l’initiative de ce qu’ils appellent l’économie de communion, où il s’agit de reverser une bonne partie des bénéfices des entreprises pour les pauvres. Et cela a montré qu’en mettant les pauvres au centre, toute la manière de faire des entreprises se trouvait transformée et humanisée. C’est cela qui est possible au cœur de l’économie marchande, faire des choix où l’argent est mis au service des pauvres. L’enseignement social chrétien nous invite à avoir une option préférentielle pour les pauvres. C’est là l’Évangile, et ce n’est qu’ainsi que le monde changera.

Vous me direz que les puissances financières sont trop fortes, que l’on est bien incapable de les faire tomber. De fait, le système mondial a été bâti sur l’amour de l’argent. C’est une mondialisation de l’argent. Mais nous avons plus fort que toutes ces vanités, nous avons l’Esprit-Saint, nous avons les anges. Il faut les déranger, il faut les prier, pour que les logiques financières délétères tombent, et que naisse une authentique civilisation de l’amour.

Car c’est cela qui s’affronte : une civilisation d’argent et une civilisation d’amour. Il y a Goliath et il y a David. Il y a le Dragon et il y a l’Agneau. Nous savons qui va gagner, nous en avons la certitude, car le Christ a vaincu par sa Croix. À nous de nous prononcer pour ou contre.

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