La science moderne est une science physico-mathématique. Elle s’intéresse aux phénomènes du monde visible, elle est donc une physique. Et elle cherche à établir les lois quantifiables qui la régissent. Elle cherche dans la quantité ses principes d’explication. Elle fait donc usage des mathématiques pour l’établissement de ses théories.
Même si c’est une lunette particulière, c’est bien une lunette fascinante pour regarder le monde, pour en observer les contours, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Les choses se mesurent, se situent dans des repères, interagissent selon des forces et des lois. Depuis les particules élémentaires de la matière, jusqu’aux galaxies et amas de galaxies, en passant par les atomes, les molécules, les ADN, les ondes, les planètes et les astres, tout semble observable, quantifiable et mesurable. Le monde est une étendue mesurable. Le scientifique, c’est celui qui sait établir les lois quantifiables de l’univers.
Tout semble montrer à l’esprit moderne que c’est là l’ordre du monde, ce qui fonde la consistance des choses. Le monde est régi par des lois quantifiables. Il ne faut pas croire cependant que cela se fasse d’une manière mécanique et déterminée comme on a pu le penser par le passé. La science moderne a montré que les lois fondamentales de l’univers laissent une part immense à l’indétermination et au hasard. Notons que cela peut avoir la conséquence fâcheuse que les choses n’ayant pas d’autre consistance que quantifiable, elles sont malléables au gré de nos désirs.
Un penseur plus classique pourra toujours rappeler que le monde à aussi une consistance d’être et qu’il est fait de forme et de matière, qu’il a une consistance ontique et ontologique. Il pourra rappeler que le vrai scientifique doit savoir trouver les causes des choses dans les divers domaines de la pensée et pas seulement dans les lois quantifiables. Malheureusement, la physico-mathématique emporte tout sur son passage et laisse peu de place dans l’esprit moderne à l’intuition de l’être des choses aux faisceaux multiples de réalisations des êtres dans des degrés divers.
La physico-mathématique semble vouer le monde au chaos par les lois du hasard qui dans l’esprit moderne régissent mathématiquement la matière dans cette entropie devenue un principe absolu. Le monde humain s’engouffrant dans cette voie est entré lui aussi dans le chaos et le désordre. Une immense dépression et un immense désespoir s’est mis à habiter nos cœurs.
Mais la vie s’est rappelée à nous. Une brisure toute aussi immense est arrivée dans notre conception du monde par le réveil écologique et le souhait de revenir à la nature. Les forces de vie qui l’animent fascinent à nouveau une multitude de personnes en quête d’un monde meilleur. Et ceux-ci découvrent émerveillés que le monde ne réagit pas aux lois de l’entropie mais aux lois de la syntropie, c’est-à-dire de la création d’ordre, de l’irruption de la vie.
L’observation des gaz nous avaient amenés à établir les lois de l’entropie. Et à partir de là, nous les avons étendues à l’univers entier ; les lieux de création d’ordre n’étant que des épiphénomènes singuliers qui se compensaient par ailleurs par des désordres. C’est là une hypothèse non prouvée quelque peu audacieuse. Nous sommes si petits dans un univers si merveilleux ; il paraît étrange de pouvoir établir si facilement de telles lois qui seraient explicatives de toutes les réalités de l’univers.
Ce que l’on découvre au contraire dans l’univers depuis son commencement c’est une création d’ordre, réglée comme du papier à musique pour qu’un jour la vie apparaisse sur la Terre. Depuis les singularités présentes dans le magma initial, en passant par les équilibres des forces fondamentales, par l’ordonnancement des étoiles, celui du système solaire, du champ magnétique de la Terre, des matériaux présents sur celle-ci. Tout s’est mis en ordre pour que la vie apparaisse, se répande dans un foisonnement de végétaux et d’animaux de plus en plus complexes, dans des écosystèmes interagissant les uns avec les autres et d’une complexité inouïe. La vie trouve son chemin en ce monde. La matière elle-même contient un dynamisme qui nous mène vers la vie. Et il y a fort à penser que cette vie advenue localement dans l’univers se répandra partout dans une création d’ordre de plus en plus belle et fascinante. Ce n’est pas la création d’ordre qui est un épiphénomène, mais la création de désordre ; celle-ci est liée à des systèmes très petits et très imparfaits. La matière est syntropique. Elle a en elle une flèche, une tendance qui la conduit vers la vie. Elle prend cette direction, et non celle du hasard et du désordre. Ce ne sont pas les probabilités qui régissent ce monde mais la tendance à la vie.
Bien sûr, le mécanisme qui régit cette tendance est inobservable avec un microscope. On ne peut en trouver le principe dans la quantité, car il vient de la qualité de la matière. Tout ce que l’on peut observer, c’est que l’univers produit de la vie. Des effets on arrive à ce principe qualitatif. Les lois de l’entropie doivent être corrigées par cette tendance à l’ordre et à la vie qui anime la matière et qui nous amène à considérer qu’il s’agit en fait des lois de la syntropie.
L’on voit ici que le plus fondamental dans la physique n’est pas la quantité, mais la qualité. Même si cette tendance à la vie a des impacts dans la quantité, dans ce que l’on observe et mesure, son principe n’est pas observable, mesurable et quantifiable. Il est qualitatif. Il y a ainsi des lieux, des objets, des aliments, des êtres, qui conduisent plus à la vie que d’autres : qui portent et répandent plus ou moins cette tendance à la vie.
Il ne faut pas chercher un vecteur observable de la communication de la tendance à la vie, cela se propage dans la matière dans sa qualité et non dans sa quantité. Cependant, ce qui se passe dans la qualité n’est pas sans lien avec ce qui se passe dans la quantité, et il se peut que cette communication de tendance se rende observable de diverses manières, mais il reste que la qualité en tant que telle n’est pas observable sous un microscope. Elle obéit à d’autres lois. L’acupuncture serait peut-être un exemple de cette communication de tendance à la vie avec un vecteur de propagation non observable dans la quantité, même si on observe toute sorte de réactions sur le corps.
À une autre échelle, des chemins de propagation de vie en ce monde ont laissé de multiples traces de déplacement d’animaux et de végétaux dans leur sillage : la tendance à la vie s’est propagée, les animaux et les végétaux y ont contribué. Est-ce juste les mécanismes physico-chimiques qui se répandaient ? Ou est-ce aussi une tendance de la matière plus profonde à aller vers la vie qui se propageait par ces chemins ? Les deux semblent ici intimement liés, mais il convient de bien les distinguer.
Il est surprenant que la quantité a semblé être le plus fondamental pour la physique. Et cela est assez ancien. Quand saint Thomas d’Aquin se pose la question de ce qui assure l’unité des accidents du pain et du vin après la transsubstantiation des espèces eucharistiques, même lui suggère que c’est l’accident quantité. Or, ce que l’on a dit plus haut nous amène à croire que c’est l’accident qualité qui a la première place et qui assure alors l’unité.
La qualité d’un objet est ce qui caractérise ses capacités et son état. L’on voit qu’un animal a beaucoup de capacités : sentir, se mouvoir, grandir, etc. Une pierre en a moins, mais contribue à la qualité globale du monde qui est ordonnée à la vie. Considérer les qualités des êtres permet de voir que la matière produit des foyers de déploiements particuliers de qualités ordonnées à la vie, à savoir les animaux et les végétaux. Ceux-ci ont ces qualités dans leur unité propre, c’est ce que l’on a appelé autrefois une « âme », même si elle est dans ces cas-là dans la matière.
De fait, tout ce que l’on a considéré jusque là était bien dans la matière et dans ses capacités. Il ne s’agit pas encore de spiritualité, de ces capacités des êtres spirituels qui transcendent la matière, et qui peuvent très bien agir au sein de celle-ci. Ce qu’il font bien sûr, et ce qui permet d’achever la tendance à la vie de la matière dans quelque chose d’encore plus grand. La matière n’a pas en elle-même la capacité d’aboutir à un ordre parfait, même si elle a en elle-même la capacité à grandir dans son ordre propre. Elle a besoin des êtres spirituels pour arriver à son propre achèvement.
Notons que quand l’on parle d’ordre de la matière, il ne s’agit pas d’une uniformisation, mais bien plutôt de la beauté des multiples singularités comme on peut le voir dans la beauté des fleurs, des animaux, des paysages, du monde entier. L’ordre est plutôt synonyme de diversités et de particularités, alors que le désordre est synonyme d’uniformisation. Si l’on voit des ressemblances dans ce que l’on appelle un ordre donné (tel espèce de fleurs ou d’animaux, ou chez les hommes l’ordre militaire, l’ordre des médecins…), c’est justement pour montrer la particularité de ses membres par rapport au reste du monde qui est très divers. Il n’y a rien de pire que de vouloir imposer un ordre particulier à tous et de tout uniformiser. C’est vrai dans la matière, mais c’est vrai aussi en spiritualité.
Pour revenir à la physique, l’on voit ici qu’une physique plus haute que le physico-mathématique, plus à même d’expliquer les phénomènes du monde est une physique de la qualité, que l’on pourrait appeler la physique de la nature. La physico-mathématique semblait s’opposer à l’ontologie et à la philosophie de la nature car la quantité semblait régie par d’autres lois que celles qu’un philosophe classique avait émis. Mais en fait l’ancienne physique n’avait pas deux parties, mais trois, à savoir : la philosophie de la nature, la physique de la nature et la physico-mathématique. C’est la qualité qui vient corriger la quantité et nous permet de mener notre réflexion plus loin vers l’ensemble des causes du monde sensible.
La physique au sens large est l’étude des causes du monde sensible. Celle-ci va se faire dans la physico-mathématique du côté de la quantité, dans la physique de la nature du côté de la qualité et dans la philosophie de la nature dans toutes les autres catégories de la pensée (les relations, les formes, les essences, etc) avec en premier lieu bien sûr les essences des choses. L’essence d’une chose sous-tend ses qualités, et les qualités ont un impact sur les quantités de cette chose (comme on l’a vu pour la correction de l’entropie par la syntropie). L’on voit là que la philosophie de la nature est subordonnante de la physique de la nature, elle-même subordonnante de la physico-mathématique. Tout en respectant ses modes propres de fonctionnement et ses propres découvertes, une science subordonnante va donner des entrées à une science subordonnée, elle va lui donner des principes non démontrables dans cette science subordonnée qui vont la corriger.
La marche du monde est un chemin vers la vie. La science contemporaine a bien selon nous son propre chemin à faire pour rendre compte davantage de la vie. Il ne reste qu’à souhaiter que se développe davantage cette physique de la qualité dont nous avons parlé et que nous avons nommée physique de la nature.
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