L’homme, cet animal spirituel

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Nicolas Poussin, La Sainte Famille avec sainte Elizabeth et saint Jean

Le corps se définit comme le composé d’une âme et de matière. L’homme est donc un corps. Il n’a pas un corps, mais il est un corps. C’est quelque chose d’important à percevoir : il est un corps. La notion de corps englobe celle d’esprit. Bien sûr, chez les animaux, l’âme n’est pas spirituelle, mais est incluse dans la matière elle-même ; la notion de corps animal, moins riche que chez l’homme, ne comprend pas de dimension spirituelle. Mais chez celui-ci, c’est le concept de corps humain qui exprime le plus parmi ces notions ce qu’est l’homme : cela parle de son esprit et de sa matière.

Comme cela a été dit dans l’article Des diverses analogies, il y a une analogie d’animation entre la notion d’âme, celle de corps et celle d’esprit, le tout se trouvant relié dans la notion de corps humain qui reprend toutes ces notions du monde sensible et fait la jonction entre elles. C’est bien là un cas particulier de l’analogie d’attribution, autrement appelé focalité, à la jonction entre le spirituel et le matériel. Par monde sensible, nous parlons du monde qui est perceptible par les sens, mais dont les réalités peuvent dépasser les sens. Il s’agit donc de tout ce qui est matière, et de toute la spiritualité humaine, car les hommes se rendent visibles dans le sensible.

Le concept de corps humain reprend en plus parfait la notion de corps animal et celle d’esprit humain. C’est un concept mélangé : il désigne une réalité à la fois matérielle et spirituelle. Nous sommes loin de l’idée claire et distincte de Descartes, même si c’est une notion pleine de lumière. Quelle folie de n’avoir voulu prendre en compte que ce qui était clair et distinct pour expliquer le monde ! De fait, il y a en ce monde des choses mélangées ; il y a des intelligibles pour désigner des choses mélangées. Et ce sont ces intelligibles qui servent l’unité du monde sensible, qui en permettent la plus grande compréhension. Sans eux, on ne comprend plus rien ; et le matériel et le spirituel se trouvent disjoint dans notre pensée : sans eux, on entre dans une dualité d’opposition dont on voit les fruits pervers aujourd’hui à grande échelle.

Le concept d’esprit humain, lui, est incomplet, car un esprit humain a besoin de matière, il est fait pour l’incarnation. C’est le concept de corps humain qui est complet : il désigne une réalité dans toutes ses dimensions. Et il sert de jonction entre le matériel et le spirituel. Grâce à lui, la pensée trouve une unité entre ce qui paraît opposé.

Le concept d’âme humaine désigne l’esprit humain en tant qu’il sert d’âme au corps humain. Alors que le concept d’esprit humain désigne cette même âme humaine, mais en tant qu’elle est spirituelle, et donc d’un degré d’être plus grand que celui de la matière, et avec des facultés propres aux êtres spirituels. Ce sont bien deux concepts différents, même s’il désigne la même réalité. Le concept d’âme humaine est plus riche que celui d’esprit humain, car on y retrouve à la fois la notion de spiritualité et celle d’animation d’un corps, même si l’on a besoin du concept d’esprit humain pour vraiment percevoir la dimension spirituelle de l’homme. Le concept d’âme humaine sert de jonction entre la notion d’âme animale ou végétale et celle d’esprit humain. C’est là aussi une analogie d’animation.

Cette analogie marche donc avec trois composantes. La composante principale, qui est la réalisation humaine d’une notion à la fois spirituelle et matérielle ou liée à la matière. La composante spirituelle qui est la dimension purement spirituelle de la notion, mais qui prise isolément est incomplète. Et la composante matérielle qui est la réalisation dans la matière, qui s’exprime en particulier chez les animaux ou les végétaux.

Il y a ainsi la notion de joie humaine qui a une dimension de joie purement spirituelle, et qui reprend aussi la notion de plaisir telle que l’on peut la trouver chez l’animal. On parle parfois aussi de plaisir humain pour parler de cette joie humaine. On hésite ici si l’on doit prendre pour le cas de l’homme le nom de la notion spirituelle ou celui de la notion matérielle. Mais la joie vraiment humaine, ou le plaisir vraiment humain, est bien à la fois spirituelle et matérielle. L’homme a la liberté de ne vivre que pour un plaisir animal, mais cela est en-dessous de sa condition, il est fait pour le plaisir humain qui est à la fois spirituel et matériel. Et il se peut, dans la condition présente de l’humanité blessée par le péché, qu’une joie spirituelle authentique soit accompagnée de souffrances au niveau de la matière et non de plaisir. Mais nous sommes bien fait pour une joie à la fois spirituelle et matérielle.

La notion d’animal qui est en général matérielle devient chez l’homme une notion de personne humaine, avec toute une dimension purement spirituelle, qui lui est associée, d’amour, de volonté, de liberté, etc. C’est ici le mot pour la dimension spirituelle qui est utilisée pour désigner cet animal spirituel qu’est l’homme, à savoir le mot de personne. Cela montre bien que sa dignité est plus grande du fait de sa spiritualité.

La notion d’esprit sert à la fois de pendant spirituel à la notion d’âme et à la notion de corps. Il n’y a rien d’étonnant à cela, car c’est la notion de corps qui fait la jonction de ces notions, et parce que celle-ci contient la notion d’âme.

Il faut remarquer que quand l’on passe dans le monde spirituel des anges, on parlera alors d’Esprit et non plus de corps ou d’âme. C’est la notion spirituelle, bien qu’incomplète chez l’homme, qui servira à désigner chez l’ange cette réalité alors tout à fait complète. La notion d’Esprit angélique reprend la notion de corps humain avec toutes ses composantes, mais dans un degré d’être plus grand, et purement spirituel. On voit ici que pour entrer dans l’intelligibilité de la notion angélique d’Esprit, on se sert de deux concepts humains pour réaliser l’analogie : celui de corps humain qui nous donne le concept le plus complet de la réalisation à notre échelle de la notion équivalente, et celui d’esprit humain qui, bien qu’incomplet, nous aide à percevoir la dimension purement spirituelle de l’Esprit angélique. C’est avec ces deux concepts, et avec derrière eux tous ceux qui leur sont liés, que l’on entrevoit une intelligibilité de ce que l’on perçoit comme existant dans le monde angélique.

Il en va de même pour toutes les notions prises dans l’analogie d’animation : la Joie angélique va au-delà des joies ou plaisirs humains les plus complets, mais dans un degré de joie purement spirituelle. La dimension de Personne angélique reprend la notion de personne humaine à un degré supérieur purement spirituel, mais sans oublier toute la dimension de déploiement de vie que laisse entrevoir l’animalité.

Il y a là un regard analogique à développer pour chercher d’abord ce qu’il y a de plus complet chez l’homme, c’est-à-dire ce qui est vécu dans une spiritualité pleinement incarnée, avant de chercher à remonter trop vite vers les réalités purement spirituelles des anges et de Dieu. Cela évite le danger de désincarnation de certaines spiritualités. Si les moines et religieux fuient le monde, ce n’est pas par esprit de désincarnation, mais parce que la vie dans l’Esprit-Saint reprend ce qu’il y a de plus complet chez l’homme dans un degré de réalisation encore plus grand. Ils sont là pour témoigner de cela, quand d’autres sont appelés à le vivre dans les réalités concrètes de ce monde. Et il y a fort à parier que la vie la plus complète, qui nous attend dans le Royaume de Dieu, sera à la fois très spirituelle et très matérielle.

L’homme est un animal spirituel. C’est une drôle de posture. Il n’est ni un esprit agissant sur un corps à sa disposition, ni un corps avec des tendances spiritualisantes du fait de sa grande évolution. Il est un corps, composé d’esprit et de matière, et dont le principe d’animation est son esprit. La vie pleinement humaine contient en soi la vie spirituelle et la vie matérielle, d’une manière intimement liée, et se déclinant de multiples manières. La personnalité humaine, faite pour l’amour, le don et la vie, se vit en même temps sur le plan spirituel et matériel.

Dieu est pur Esprit. On pourrait penser que la rencontre avec Lui est purement spirituelle. Et de fait, les âmes séparées des morts sont pleinement heureuses. Pourtant, pour nous, ce ne serait pas une rencontre complète. Dieu a choisi la voie de l’Incarnation, et c’est dans la matière que nous le rencontrons, que nous pouvons communier à Lui, que nous pouvons nous unir à Lui. Cette rencontre et cette union a certes une forte composante spirituelle, mais elle est aussi matérielle. Nos gestes de dévotion dans la matière ne sont pas anodins, car il nous font entrer dans une spiritualité plus complète, et donc nous mène davantage vers Lui.

Les âmes séparées dont nous parlions sont pleinement heureuses, car le Joie de Dieu, spirituelle, vient remplir toute leur âme qui est spirituelle. Sa vision vient combler leurs désirs et leurs cœurs. On ne ressent pas de manque devant une telle plénitude. Mais il reste qu’il manque quelque chose et que l’humanité est faite pour la matière, que la joie spirituelle est faite pour rejaillir en plaisir charnel. Le déploiement de vie spirituelle est faite pour rejaillir dans un déploiement de vie matérielle. Quand tous les morts ressusciteront à la fin des temps dans ce paradis que Dieu nous a préparé, nous serons alors dans ce déploiement de vie spirituelle et matérielle, dans cette immense joie spirituelle et charnelle. Et nous les vivants, en Dieu et dans la chair, soyons des témoins de cette vie, de cette joie et de cet amour à la fois spirituelle et charnelle !

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