Le Christ est venu nous sauver du péché et de la mort. Il veut nous introduire dans une vie qui dépasse tout ce que nous aurions pu imaginer. Cela dépasse même ce qui était prévu par Dieu à l’origine quand il a créé le monde de nos premiers parents. Ce n’est pas que cela dépasse ce qu’il avait prévu de toute éternité quand il a créé le monde, car il savait que nous allions pécher et perdre le premier état d’innocence de l’humanité. Mais cela dépasse ce qui était prévu pour nos premiers parents s’ils n’avaient pas péché. L’Incarnation était prévue dès l’origine dans la prescience de Dieu qui voit tout dans son unique instant. Mais cela n’était pas prévu à l’origine dans l’état d’existence de nos premiers parents. C’est le péché qui a permis au vrai plan de Dieu de se réaliser ; c’est le péché qui a été le motif de l’Incarnation Rédemptrice de Dieu selon son plan éternel.
C’est étonnant ! C’est là que l’on voit que Dieu a tout intégré dans son plan. Tout prévu. Finalement, quand nous-mêmes sommes en échec, de notre faute, ou indépendamment de notre faute, nous pouvons nous dire que, de la même manière que pour le péché originel, Dieu a un plan pour nous conduire au travers de cela vers le meilleur qu’il veut nous donner.
Mais quel est donc ce meilleur qu’il veut nous donner ? Qu’est-ce que l’Incarnation Rédemptrice nous apporte de plus que l’état d’innocence originelle ?
Ce n’est pas qu’il nous fallait connaître le mal. Soyons en bien sûr. Tout aurait pu se réaliser sans le mal. Si Dieu avait vu que nous n’allions pas pécher, Il aurait prévu dans son plan à l’origine une création qui soit faite dès le départ pour l’Incarnation, qui nous aurait conduit au mieux que Dieu voulait nous donner. Le mal n’apporte rien. Le mal ne fait que détruire. Ce n’est que la grâce de Dieu, qui surabonde là où il y a le mal, qui permet de mener toute chose à son accomplissement.
Mais Dieu a voulu prévoir que le mal puisse avoir lieu, non pas qu’il ait lieu, mais qu’il puisse avoir lieu, pour pouvoir nous donner le meilleur qu’il puisse nous donner. Un meilleur qui inclut une certaine possibilité de défaillir dans notre réponse à son amour. Un meilleur qui inclut en tant que meilleur la réalité de la Miséricorde, qui est la plus haute perfection de l’Amour. Il voulait que nous soyons participants de sa Miséricorde. Le mal est possible, non pas pour que nous soyons plus libres, car la liberté se passe de la possibilité du mal. Mais pour qu’ils nous soient donnés de recevoir et de pratiquer la Miséricorde. Le cœur du problème du mal, ce n’est pas la liberté, mais la miséricorde. Soyons des âmes miséricordiées et miséricordieuses, et alors le mal reculera et perdra de son pouvoir, car il n’a de l’emprise que pour rendre davantage manifeste la pratique de la miséricorde.
Il nous a donné le meilleur en nous permettant de défaillir du bien, car il a déposé ainsi en nous la pratique de la miséricorde. Celle-ci nous rétablit dans la communion avec Dieu et nous entraîne à Le servir pour proposer cette communion aux autres. Elle fait cheminer l’humanité vers son achèvement où le Christ sera tout en tous. L’Incarnation Rédemptrice, c’est la Miséricorde donnée et reçue. Et cette Miséricorde, c’est celle d’un enfant qui s’abandonne dans la confiance à son Père ; et c’est celle de la Croix où le Christ, et nous à sa suite, nous offrons pour le salut du monde. Cette Croix où le Christ s’est livré entre nos mains pour notre salut. Cette Croix où nous nous offrons à la merci des pécheurs et des indigents pour leur offrir le salut.
L’Incarnation Rédemptrice, c’est un Dieu qui s’est fait homme pour rétablir l’humanité dans la communion avec Lui. C’est un état supérieur à l’état originel. Dans celui-ci nous étions faits pour voir Dieu, nous étions faits pour la vision béatifique. Ce qui était déjà immense, incroyable. Nous étions faits pour vivre des perfections, que nous contemplions en Dieu, au travers des multiples réalités de notre humanité dans un déploiement de vie et d’amour inimaginable.
Mais l’Incarnation Rédemptrice nous a apportés beaucoup plus. Nous aurons, bien sûr, la vision béatifique. Ce qui est déjà immense ! Nous aurons ce déploiement de vie et d’amour, que nous pouvons déjà goûter un peu aujourd’hui. Ce qui est ineffable ! Mais elle nous a apporté encore plus. Elle nous a apporté d’être divinisés, de vivre de la vie divine. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Les grâces de l’état originel n’étaient-elles pas déjà une divinisation vu qu’elles nous sanctifiaient et nous conduisaient à voir Dieu ? Eh bien non. Nous le vivions encore comme créatures, certes remplies de la grâce de Dieu et donc de Dieu, mais comme créatures.
Saint Jean nous dit (1 Jn 3, 1-3) :
« Voyez quel amour le Père nous a témoigné, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu ! Et nous le sommes. Si le monde ne nous connaît pas, c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ; mais nous savons que, lorsque cela sera manifesté, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. Quiconque a cette espérance en lui se purifie, comme lui-même est pur. »
Ou dans son prologue (Jn 1, 9-14) :
« Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue. Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue. Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père. »
Ce que nous contemplons, c’est le Verbe fait chair ! C’est la Trinité, mais avec le Verbe qui s’est fait chair. Le Verbe est venu vivre parmi nous. Le Verbe qui nous a appelés chacun pour que nous devenions enfant de Dieu en le laissant habiter en nous.
Désormais, c’est le Christ qui vit en nous. Qui vit ! Il ne faut pas s’imaginer un Christ lointain qui du sein de la Trinité où il s’est enfoui nous éclairerait de sa lumière. Chez certains, même s’ils se souviennent que l’Incarnation a eu lieu, on a l’impression qu’elle disparaît avec l’Ascension. Non, le Christ vit en nous ! C’est un Christ qui vient en nous comme un petit enfant. Un enfant nous est né ! Non pas en général, mais pour nous personnellement. Le Verbe s’est fait chair. Non pas en général, mais pour nous personnellement. Il vient en nous comme un enfant viendrait se former dans le sein de sa mère. Il veut reposer en nous, lui qui n’a pas de lieu où reposer la tête (Mt 8, 20).
Galates 2, 20 : « J’ai été crucifié avec le Christ ; et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ; et ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi. »
C’est ce qui se vit à l’Eucharistie. Le Christ vient naître en nous. Le Christ se donne à nous dans l’Hostie, comme se donnerait un enfant. C’est ce que l’on voit chez de nombreux saints, comme saint Antoine de Padoue, qui est toujours représenté portant l’Enfant-Jésus. C’est ainsi que le Seigneur se laisse voir dans la dévotion de Prague, comme un Enfant.
Ce n’est pas que le Christ viendrait à nouveau en nous de la même manière qu’il est venu dans la Vierge Marie. La Vierge Marie l’a porté pour qu’il croisse en humanité. Et désormais, le Christ est bien avec son corps glorieux au Ciel dans la plénitude de son humanité. Mais depuis sa gloire, il vient vivre en nous comme un petit enfant, comme il est venu en la Vierge Marie. Et cela pour que nous soyons pleinement à lui, que nous vivions de sa vie, et que nous formions tous ensemble son corps mystique. La Vierge Marie est bien la Mère de Dieu et notre Mère, mais elle nous enseigne à accueillir aussi Jésus en nous comme on accueillerait un enfant pour que nous devenions enfants de Dieu.
Voilà ce que l’Incarnation Rédemptrice a ajouté par rapport à l’état originel : que nous portions dans nos bras la chair de notre Dieu. Nous devenons Dieu car nous sommes en quelques sortes les parents de Dieu, les responsables de Dieu. Dieu est entré dans nos relations humaines comme un enfant. Et par là, ce sont toutes nos relations humaines qui se trouvent transformés par Lui. Dieu s’est uni à la nature humaine pour entrer avec son humanité dans toutes nos réalités humaines. Il nous a divinisés !
Les anges aussi sont divinisés, car ils deviennent les gardiens de Dieu. Cela est incroyable ! L’armée céleste, faite pour servir la Divine Majesté, est devenue la gardienne de Dieu en son humanité. Ils s’occupent d’un Dieu petit enfant, d’un Dieu fait homme. Et Dieu en son humanité contemple les anges et discute avec eux, pour trouver l’intelligibilité du monde spirituel et agir en tant qu’homme. Dieu est entré au cœur des relations angéliques ; Il est entré au cœur de leur propre activité.
Depuis l’Incarnation Rédemptrice, notre vie humaine et la vie angélique n’est plus une vie de créatures, mais c’est une vie qui plonge, dans sa réalité même, au cœur de la vie même de Dieu. C’est tout l’amour du Dieu Trinité qui vient se déployer dans nos vies. Car ce Dieu petit enfant, qui vient vivre au cœur de chacune de nos vies, et qui est venu résumer toutes les réalités créées en lui, est vivant de la vie même de Dieu et nous fait vivre de la vie même de Dieu.
Et c’est ce petit Enfant, passant au cœur de chacune de nos vies, qui vient constituer le Corps mystique de l’Église où il atteint sa pleine stature. Le Christ a sa pleine stature d’Homme comme Époux de l’Église. Mais quand il entre dans nos vies, c’est comme un Enfant qu’il se présente.
Le péché nous avait apporté la mort. La Rédemption nous a apporté la vie. Et pas n’importe quelle vie, la vie même Dieu. Pour que toute notre vie, jusque dans ses réalités les plus charnelles, soit entièrement vécue dans, par et pour la vie même de Dieu. Voilà ce que le Dieu de Miséricorde a voulu déposer en notre humanité.