La tentation de l’homme en politique, c’est de faire un empire. C’est de résumer en un seul pouvoir, tous les pouvoirs de la Terre, comme la tour de Babel. C’est une tentation démoniaque qui, si un jour elle était réalisée, ne pourrait pas tenir. Elle s’effondrerait très vite.
Nous avons déjà dit dans notre article Vers la civilisation de l’amour qu’en politique, le pouvoir vient du peuple de par la nature de l’homme. Les représentants ne peuvent donc pas l’usurper au-delà de ce qui remonte jusqu’à eux par subsidiarité. Ces représentants, élus par les modalité propres à chaque culture, tiennent quant à eux leur légitimité de Dieu par voie descendante dans l’ordre hiérarchique. C’est une légitimité contingente et qui est très liée au respect de la loi naturelle.
Nos républiques et démocraties savent se doter de lois civiles pour régler les affaires d’un pays. Mais, pour être respectueuses de l’homme, ces lois civiles doivent trouver un fondement dans la loi naturelle qui est une participation de la loi éternelle inscrite dans le cœur de chaque homme et qui parle dans la conscience. Cette loi naturelle demande des gardiens, des garants.
Il est donc de bon ton d’avoir des instances dans chaque pays qui soient des gardiens de cette loi naturelle. C’est un peu le rôle des anciennes monarchies de certains pays, qui ont laissé la gestion du pays à des instances démocratiques, mais qui reste des garants du bon ordre des choses. Il s’agit pour eux de veiller sur la loi naturelle, ainsi que sur les lois les plus fondamentales du royaume qui leur est confié.
Mais faudrait-il une instance internationale gardienne de la loi naturelle et des lois fondamentales du monde ? L’ONU travaille à la bonne marche du monde. Mais faudrait-il en faire le gardien du bon ordre des choses ? Je ne crois pas. En tout cas, pas de cette manière-là. Je pense que ce serait tomber dans la tentation impériale. Une tentation qui ne respecte ni les personnes ni la réalité surnaturelle présente dans le monde.
Car, l’Église en témoigne, il existe un ordre supérieur à celui de la nature humaine qui agit aussi dans le monde. L’Église a une hiérarchie pour la sanctification du monde, mais il manque quelque part une hiérarchie pour faire le lien entre l’agir angélique et divin et l’ordre temporel de l’agir humain. Car l’on ne peut vraiment gouverner le monde sans prendre en compte ces trois dimensions : divin, angélique et humain. Et pour cela, la loi naturelle et les capacités de l’homme ne suffisent pas. Il ne peut donc y avoir de véritable empire, et de véritable gardiens de l’ordre fondamental du monde, que porté par un ordre où se manifeste l’Esprit de Dieu et l’assistance des anges.
Nous distinguerons donc trois niveaux dans le gouvernement du monde, indépendamment du gouvernement ecclésial : celui des lois civiles, celui de la loi naturelle, et celui du gouvernement divin. Celui des lois civiles est le plus communément admis aujourd’hui : il s’agit de toutes nos instances politiques qui permettent la bonne marche du pays. Celui de la loi naturelle qui demande à être davantage explicité et assuré par une autorité, qui serait garante dans un pays donné que les choses fondamentales soient respectées, en se gardant d’entrer dans ce qui est contingent et qui appartient au premier niveau. Et celui du gouvernement divin qui viendrait d’un ordre de saints, assistés par l’Esprit-Saint et les anges, et qui porteraient toute chose dans l’unité pour assister les pays dans ce qui touche aux manifestations angéliques et divines. Ce serait ces saints les gardiens ultimes de l’ordre du monde.
Et je pense que nous ne pourrons avoir une instance internationale garante du respect de l’homme et qui ne tombe pas dans des travers délétères si nous n’avons pas d’abord cet ordre de saints qui nous soit manifesté. L’instance internationale que l’on pourrait alors mettre en place serait d’ailleurs plus à voir comme deux instances : d’un côte, une communauté des garants des choses fondamentales de chaque pays qui se mettent ensemble pour préserver les choses fondamentales du monde ; et de l’autre une organisation pour aider à la bonne marche des affaires courantes du monde.
La hiérarchie ecclésiastique, elle, est la gardienne de la sanctification du monde quant à la constitution visible de l’Église. La sanctification, c’est l’œuvre d’unir ce monde à la grâce de Dieu, de faire que l’Alliance avec Dieu s’installe et se propage. Et la modalité spécifique de la sanctification quant à la constitution visible de l’Église que nous attribuons à la hiérarchie ecclésiastique consiste à réaliser la communion ecclésiale. Mais cette hiérarchie n’est la gardienne ni du gouvernement du monde quant au déploiement de la vie angélique et divine une fois le monde installé et maintenu dans l’Alliance, ni de celui de la sanctification pour ce qui ne touche pas à la constitution visible de l’Église. Le premier devrait appartenir à cet ordre de saints dont nous parlons. Le deuxième, en lien avec le premier, aux choix mystérieux de l’élection divine. Si la hiérarchie ecclésiastique se les accapare, c’est qu’elle tombe aussi dans la tentation impériale.
Alors se dresse aujourd’hui devant nous deux empires : celui qui se fonde dans la créature qui cherche à résumer en elle tous les pouvoirs. Et celui de Dieu qui respecte harmonieusement toute la diversité et le savant équilibre des diverses lois et autorité qu’il a institué. Celui qui mène à la fusion et la division, et celui qui mène à la communion. Aujourd’hui la créature qui se prend pour Dieu a les dimensions de l’homme : elle agit au moins visiblement à hauteur d’homme. Demain, peut-être aura-t-elle les dimensions de l’ange : elle agira visiblement avec sa force et sa puissance. Dans les deux cas, il s’agit d’un empire qui ne respecte pas le cœur de l’homme, qui ne respecte pas le mystère de la vie et de l’amour.
Ces deux empires vont s’affronter, tel David contre Goliath. Le faible contre le fort. Le petit contre le puissant. Mais la grâce divine va venir dans la faiblesse et la petitesse pour mener ce monde à Dieu dans la manifestation d’un amour qui respecte chaque créature et veut la conduire au bonheur. Alors Seigneur, manifeste-nous tes saints ! Manifeste-nous ces petits apôtres de ton Amour ! Oui, Seigneur Jésus, que ton règne vienne !