« La civilisation de l’amour l’emportera sur la fièvre des luttes sociales implacables et donnera au monde la transfiguration tant attendue de l’humanité finalement chrétienne. » Homélie de Paul VI, le 24 décembre 1975.
Le monde est en attente. Il cherche quelque chose. Il cherche une unité qu’il n’a pas. Une unité entre les personnes. Une unité entre les communautés. Une unité entre les pays. Une unité au sein même de chaque personne. Une unité de la pensée. Une unité de la parole. Une unité de l’agir. Une unité du ressenti. Quelque chose qui nous permette de retrouver l’harmonie perdue, de retrouver la joie de vivre simplement la diversité des facettes de ce que l’on est.
Le monde manque de joie et d’espérance. Le monde manque d’amour.
On pourrait continuer longtemps comme cela à dresser la liste de ce qui nous manque. C’est étonnant en fait. Le Christ est venu il y a deux mille ans apporter la vie de Dieu ; et aujourd’hui encore, il n’y a pas d’unité, il n’y a pas de paix. Mais, en fait, si l’on écoute les paroles du Christ, et le Nouveau Testament en général, on découvre que cela avait été annoncé : « Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres : gardez-vous d’être troublés, car il faut que ces choses arrivent. Mais ce ne sera pas encore la fin. Une nation s’élèvera contre une nation, et un royaume contre un royaume, et il y aura, en divers lieux, des famines et des tremblements de terre. Tout cela ne sera que le commencement des douleurs. » (Mt 24, 6-8).
On a finalement l’impression que l’histoire du monde et de l’Église est celle d’une tour que l’on a commencé à construire mais qui peine à être achevée (Lc 14, 28). Et l’on se demande même si certains pour tenter de l’achever à leur gré, ou pour en profiter comme bon leur semblait sans même songer à l’achever, n’ont pas finalement préféré pactiser avec l’ennemi du genre humain (Lc 24, 32). (cf notre article Luc 14, 25-33 : Tout quitter pour suivre Jésus).
Il est une légende bretonne au sujet d’un moulin du diable (qui est parfois un pont du diable) qui raconte qu’un homme voulait construire un moulin pour en profiter à son aise assez vite, mais ne voyait pas comment arriver à ses fins par ses propres moyens. Sur ce, le diable lui apparut et lui propose que, s’il lui donne toutes les pierres pour la construction, lui-même construirait le moulin en une nuit, et qu’au matin, en échange du moulin, il devrait lui donner son âme. L’homme accepta alors la proposition, fournit les pierres et les donna au diable. Mais il prit le soin de soustraire une petite pierre. Le diable construisit le moulin en une nuit. Et l’homme vint au matin pour en prendre possession. Le diable alors lui demanda son âme en échange de son travail comme cela avait été conclu dans l’accord. Alors, l’homme entra dans le moulin et montra l’endroit où manquait la pierre qu’il avait soustrait. De fait, il y avait un petit trou dans le mur. L’accord n’étant pas respecté dans les termes, il n’avait pas à donner son âme. Alors le diable n’eut plus qu’à partir furieux de s’être fait avoir. Et aujourd’hui, si l’on visite le moulin, on voit dans le trou du mur, laissé par la pierre manquante, une statue de la Vierge Marie.
C’est une histoire étonnante, qu’il ne faut pas prendre à la lettre, car on ne joue pas avec le diable. Si l’on s’y avisait, on y laisserait son âme. Il ne faut pas discuter avec le diable. Mais il faut savoir se moquer de lui au sujet de son incapacité à résister au projet de Dieu. Face à Dieu, il est impuissant. Et de fait, Dieu a accordé au diable d’avoir une grande connaissance des mystères du monde et des mystères de Dieu. Il en a une connaissance conceptuelle, intellectuelle, mais point du tout une connaissance de vie et d’amour, de rencontre et de sagesse. Mais la connaissance qu’il a lui donne une grande emprise sur l’Église et sur le monde. Il s’y est construit un empire. Il cherche à se convaincre qu’il arrivera au bout, qu’il sera le maître absolu, avec son savoir et sa force angélique. Dieu lui a accordé un grand savoir, presque tout le savoir. Mais il est un mystère qu’il ne connaît pas. C’est un petit mystère qu’il ne veut pas connaître, qu’il ne peut pas connaître. C’est cette petite pierre que le Seigneur a soustrait à son regard. Ce petit iota que l’on n’enlève pas de l’Évangile (Mt 5, 18).
L’Évangile parle souvent de ce grain de sénevé, de ce sel, de ce ferment, de ce vin nouveau, qui doit rendre le vin des noces bien meilleur. L’histoire de l’Église est riche en prophéties sur son avènement. Le renouveau de l’Église a beaucoup été marqué par cette annonce d’un feu, d’une étincelle, qui doit embraser le monde pour lui donner l’unité ; de cette petite alliance déposée au cœur du monde ; de cette perle rare. Ce mystère, comme beaucoup de mystères, mais d’une manière vraiment particulière, donne quand on le touche une plénitude, quand on le goûte une paix, et quand on le ressent, il donne la joie.
Celui qui dirait qu’il n’y a plus rien à découvrir, plus aucun nouveau mystère à contempler contredirait les Écritures et la Tradition. « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand le consolateur sera venu, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité toute entière » (Jn 16, 13). « Quand il cria, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. Et quand les sept tonnerres eurent fait entendre leurs voix, j’allais écrire ; et j’entendis du ciel une voix qui disait : Scelle ce qu’ont dit les sept tonnerres, et ne l’écris pas. (…) mais qu’aux jours de la voix du septième ange, quand il sonnerait de la trompette, le mystère de Dieu s’accomplirait, comme il l’a annoncé à ses serviteurs, les prophètes. » (Ap 10, 4-7). Les premiers chrétiens ont innové pour mieux comprendre. Les Pères de l’Église ont innové pour mieux comprendre. Saint Augustin et saint Thomas d’Aquin ont innové pour mieux comprendre. Tous les grands théologiens dont beaucoup de saints, et ce jusqu’à aujourd’hui, ont innové pour mieux comprendre.
La règle de l’Église exprimée par saint Vincent de Lérins consiste à désenvelopper le mystère, à dévoiler ce qui est contenu dans la Révélation, à expliciter, toujours dans le même sens. Il s’agit de faire du neuf avec l’ancien. « C’est pourquoi, tout scribe instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes. » (Mt 13, 52). Jésus dit cela à ses auditeurs juste après leur avoir demandé s’ils ont compris ses paroles, et ceux-ci ont répondu que oui. Jésus sait bien qu’il n’ont finalement pas compris grand chose. Du coup, il va y avoir ce travail à faire à partir des paroles de Jésus pour faire évoluer leur compréhension du mystère. C’est un travail qui accompagne toute la vie de l’Église. C’est le travail de la Tradition vivante.
Il a été annoncé à Marthe Robin, à Marcel Van et à tant d’autres que viendraient des petits apôtres de l’amour. Des hommes et des femmes tout épris de Dieu, qui conscients de leur faiblesse seraient tout abandonnés à la grâce de Dieu et à son amour. Ils seront une lumière, une espérance, pour ramener ce monde à Dieu. Ils feront les mêmes œuvres que le Christ, et même plus encore (Jn 14, 12), car ils seront le Christ agissant à travers eux. Ils seront porteurs de ce mystère dont nous avons parlé, de cette perle rare. Ils goûteront le vin nouveau et le répandront dans le monde. Car ce mystère de l’unité est le premier à poser sur la pierre de fondation du Christ. Et sans ce mystère, tant qu’il n’est pas dévoilé, la division règne dans le monde. L’empire des ténèbres assure son pouvoir.
Il faut chercher ! Car qui cherche trouve. Qui demande reçoit. À celui qui frappe, la porte sera ouverte.
Nous avons tâché de leur ouvrir la voie à ces petits apôtres, de préparer leur route. Nous avons tenté de décrire ce qu’ils seront (cf notre article L’anneau du pêcheur). Mais c’est à Dieu de les manifester ; c’est à Lui seul de nous dire qui ils sont. Et alors ils formeront cet Ordre de saints assurant l’unité du monde.
Car l’ordre du monde repose sur trois biens communs différents. Il est souvent fait mention du bien commun matériel et du bien commun spirituel. Mais ce dernier se subdivise en deux : le bien commun spirituel de sanctification et le bien commun spirituel de glorification. Le bien commun matériel, ce sont toutes les dispositions du monde pour nous réaliser en ce qui concerne les choses liées à notre nature. Ce sont nos gouvernements, nos états et les diverses organisations et associations qui cherchent à servir cette dimension. Le bien commun spirituel de sanctification sont toutes les dispositions liées à l’extension du Royaume de Dieu, cherchant à faire entrer ce monde dans la vie divine. C’est notamment l’Église institutionnelle, avec à sa tête le pape, qui assure le service de ce bien commun, mais aussi toutes nos œuvres d’évangélisation et toutes les actions des saints. Le bien commun spirituel de glorification, ce sont les dispositions pour que se déploie la vie du Royaume. Il ne s’agit plus d’entrer dans le Royaume, mais d’en vivre. Il porte le nom de glorification, car son but est la glorification de la Trinité.
Les responsables du bien commun matériel tiennent leur pouvoir du peuple, car chacun de nous avons une nature capable de s’exprimer. Ils tiennent leur légitimité de Dieu qui utilise pour cela les multiples moyens propres à chaque culture ; cette légitimité se répand dans l’ordre hiérarchique par voie descendante. Et ils tiennent leur élection des modalités contingentes liées à la culture.
Les responsables du bien commun spirituel de sanctification tiennent leur pouvoir du Christ qui est le vrai sanctificateur, et qui passe pour cela soit par ses ministres institués pour la constitution visible de l’Église, soit par chacun de nous pour le reste. Il y a donc dans ce pouvoir un aspect descendant depuis le Christ par ses ministres, et un aspect ascendant depuis le Christ présent en chacun de nous. C’est pour cela que le baptême peut être donné par tout le monde, alors que le pouvoir de conférer la confirmation est réservée aux évêques. C’est pour cela aussi que tout laïc peut réaliser des œuvres d’évangélisation sans mandat apostolique. Pour réaliser l’unité ecclésiale d’une manière descendante, les ministres ont besoin d’une ordination, car c’est bien là l’œuvre du Christ ; ils tiennent leur légitimité aussi du Christ qui passent par les ministres instituées par voie descendante ; et ils tiennent leur élection des modalités définies par les responsables hiérarchiques de l’Église, à savoir les évêques autour du pape. Ici, tout vient du Christ par le haut, car c’est Lui qui nous conduit dans l’unité du Royaume qui est une réalité nouvelle. Mais pour le côté ascendant, la légitimité vient du Christ par les moyens qu’il veut, et l’élection appartient aux secrets de Dieu.
Les responsables du bien commun spirituel de glorification tiennent leur pouvoir du Christ aussi, mais du Christ présent en chacun de nous ; le pouvoir est donc ascendant depuis chacun de nous comme le pouvoir temporel, et une partie du pouvoir de sanctification, et non descendant comme pour le pouvoir de sanctification des ministres ordonnés ; il est ascendant bien que le Christ reste le maître suprême. Ses responsables tiennent leur légitimité du Christ par voie descendante depuis les premiers responsables. Ils tiennent leur élection par de multiples modalités selon ce que le Christ nous fait savoir de diverses manières.
L’on voit ici que le pouvoir de Pierre s’arrête à la porte du Royaume. Son pouvoir consiste à nous faire entrer dans le Royaume, à nous assurer d’y être, et non de nous gouverner dans le Royaume.Et son pouvoir n’est même pas le tout de la sanctification. Pour tout cela, il y a d’autres responsables. C’est une libération profonde de savoir que la vie du Royaume qui est déjà là est avant tout présence du Christ en nous, et que c’est à partir de là que se déploie la vie sociale surnaturelle, et non écoute d’une hiérarchie qui doit nous donner l’ordre social surnaturel. Cela donne une autre perception de la vie chrétienne.
C’est là la voie qu’emprunteront ces petits apôtres, c’est la mission qu’ils porteront : celle de donner l’unité du monde par une juste compréhension des pouvoirs propres de chacun, et par une libération des puissances de vie et d’amour contenues en chacun. C’est une mission qui se fera par des manifestations visibles de l’Esprit-Saint, qui marquera par là qu’il soutient ces petits apôtres, qu’il leur assure une forme d’infaillibilité morale pour que leur mission n’échoue pas. Ils seront ce rempart indestructible. Contre eux, les portes de l’enfer ne prévaudront pas (Mt 16, 18). Ils seront plein de joie et d’allégresse. Plein de vie et de bonheur à répandre. Ils vivront de la Croix, mais la vie qui en jaillira sera si féconde que la Croix leur deviendra bien légère.
Louis et Zélie Martin, les parents de la petite Thérèse, ont eu sur la Terre la mission d’élever leurs filles dont certaines devinrent de grandes saintes, voir même une docteur de l’Église. Leur mission au Ciel nous apparaît être celle de former ces apôtres de l’Amour dont nous parlons. C’est à eux qu’il faut se confier pour que cela se réalise. Il faut prier et demander.
Les petits apôtres de l’Amour sauront corrigés les déviances de la spiritualité chrétienne, ainsi que les errances du monde moderne. Il nous apparaît que celles-ci et celles-là reposent ou profitent de trois erreurs anciennes et présentes dans la philosophie du docteur commun, que l’on apprécie par ailleurs beaucoup pour la grande fécondité de sa pensée.
La première consiste à avoir assimiler la connaissance à l’intelligence. Il y a comme une disparition de la notion de sensation spirituelle au profit de la notion de vision spirituelle. Et l’essence prend le pas sur la vie ; à moins que rejetant finalement cette doctrine de la notion d’essence, l’on ne garde que la vie ou la sensation.
La deuxième consiste à avoir méconnu le fait que chaque ange était le dépositaire d’une idée éternelle particulière. Chaque ange a mission de nous faire entrer dans la sensation, voire par la grâce de Dieu aussi la vision, de cette idée éternelle. Et il a mission à servir particulièrement le déploiement de la perfection associée à cette idée dans le monde. Saint Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote a rejeté la notion d’idée éternelle subsistante venue du platonisme et du coup en même temps une grande partie de la notion de participation. Cela a créé un vide dans lequel la pensée moderne s’est engouffrée, cherchant souvent les modalité d’intellection et de déploiement des idées éternelles dans les concepts humains de nos intelligences.
La troisième consiste à avoir très mal compris ce qu’était la masculinité, la féminité, la conjugalité et la sexualité. On ne peut pas dire que saint Thomas d’Aquin nous ait laissé de belles lumières là-dessus. Et ne voyant pas en quoi consiste le mystère de quelque chose d’aussi fondamentale pour notre humanité, le monde a dépéri loin de la vie et de la joie des relations authentiques. Il s’est désenchanté.
Ces trois erreurs ont toutes conduit à une très mauvaise perception du corps humain, à une mécompréhension de notre rapport au Cosmos et ont eu des conséquences théologiques et spirituelles néfastes. Le tableau pourrait paraître sombre pour quelque chose d’aussi intéressant et beau que la pensée de saint Thomas d’Aquin. Mais là où il y a le bon grain, il y a aussi l’ivraie. Du moins, jusqu’à la moisson. Saint Thomas, à la fin de sa vie, a bien perçu, au moins intuitivement, qu’il y avait un problème. Et il a voulu tout brûler. On l’a empêché. Heureusement pour nous, car nous avons profité de ses lumières. Mais malheureusement aussi, car l’ennemi a profité de ses faiblesses. C’est le mystère du plan de Dieu sur ce monde.
Et en attendant que ce plan de Dieu soit manifesté un jour dans toute sa beauté, je voudrais vous laisser ce conte spirituel, ainsi qu’une petite réflexion qui me semble importante. L’Église a encore du chemin à faire pour goûter pleinement toute la saveur du mystère divin, alors mettons-nous en chemin en nous ouvrant à la présence et aux motions de l’Esprit créateur et vivifiant. Ephata ! Ouvre-toi !
La clef de David
Plénitude inouïe d’un feu consumant. Lumière d’un amour de présence et de parole. Silence éloquent de la bonté qui se chante en des mélodies incessantes. Mouvement gracieux d’un immuable instant. Je suis l’amour. Et je te dis à toi mon Fils tout mon amour. Et je te le rends à toi mon Père ce grand amour. Je suis le chant de tes merveilles. C’est une étreinte éternelle. Tu es toi l’Esprit cette étreinte. Cette étreinte que moi le Fils je te fais à toi mon Père, alors je m’unis à l’Esprit. Cette étreinte que moi le Père je te fais à toi mon Fils, alors je m’unis à l’Esprit. Et moi l’Esprit, je m’unis au Fils pour t’étreindre toi le Père. Et je m’unis au Père pour t’étreindre toi le Fils. C’est l’Amour qui a conscience de lui-même, qui a conscience d’être l’amour, qui en a conscience dans le Père, qui en a conscience dans le Fils, qui en a conscience dans l’Esprit.
Unité éternelle sans fin et sans limite. Discussion et dialogue dans la pleine possession de toute chose au-delà de tout temps.
C’est de là que nous sommes venus, c’est là que nous allons.
À l’aube des temps, il a surgi de ce feu incandescent des étoiles. Des astres de lumières et d’amours. Ils parlaient de cet être éblouissant. Ils en chantaient les merveilles. Ils signifiaient chacun une dimension particulière de l’amour éternel. Ils étaient chacun le lieu pour voir cette dimension particulière en Dieu. Ils étaient chacun une porte d’entrée vers le divin selon un angle particulier. Et le monde entier apprenait de chacun d’eux comment s’ajuster pour cette note particulière de la divine symphonie. C’était un chant de louange, splendide, immense, à la fois tendre et majestueux !
Du moins, cela aurait dû l’être. C’était ce pour quoi ces étoiles avaient été portées à l’existence. Mais certaines d’entre elles se sont fermées à la lumière éternelle ; elles ont voulu être la source de toute lumière, celle qui éclaire toute chose. Elles sont tombées loin du Ciel dans l’abîme. Elles ont brisé l’harmonie et semé discorde et division, rébellion et haine. Elles ont pris en horreur tout ce qui pouvait leur rappeler la joyeuse et belle lumière divine.
Là où il y a l’amour, elles ont mis la haine.
Là où il y a la concorde, elles ont mis la discorde.
Là où il y a la bonté, elles ont mis la méchanceté.
Là où il y a le bonheur, elles ont mis le malheur.
Là où il y a la joie, elles ont mis la tristesse.
Là où il y a l’union, elles ont mis la division.
Là où il y a la tendresse, elles ont mis l’oppression.
Là où il y a la liberté, elles ont mis la captivité.
Entraînés dans la rébellion par celui qui aurait dû chanter l’éternelle communion du Dieu de sainteté, elles ont formé une armée pour tout dévaster, espérant gagner toute la gloire de la divinité.
Mais le Soleil immense qui garde toute chose dans sa bienveillance entra lui-même au cœur du monde créé. Il alla dans les bas-fonds, là où vivent ceux qui ne sont pas des étoiles, là où vivent ceux qui sont éclairés par les étoiles, et qui sont emportés dans leur vie et dans leur combat. Le Fils se fit enfant. Le chant au Père entra dans la matière. L’amour brûlant s’approcha par Lui de chaque créature pour réparer la noirceur des êtres ténébreux. Il porta la Lumière dans les ténèbres. L’Esprit se répandit sur toute chose. Et la marche du monde avait trouvé un point de stabilité et de restauration dans l’offrande toute nouvelle de l’Amour rejoignant toute misère pour y déposer sa vie.
Mais l’armée de la rébellion, trouvant des hommes qui préféraient les ténèbres à la lumière déposèrent leur venin pour éloigner les hommes de cette source intarissable. Ils replièrent le monde des bas-fonds sur lui-même, lui faisant croire qu’il était l’horizon de toute chose, qu’il n’y avait aucune lumière en-dehors de lui, que sa ténèbre était toute la lumière. Ils volèrent les étoiles du Ciel. Ils les firent disparaître aux yeux de ce monde fait de terre. Ils cachèrent ce qui pouvait rappeler la Source de toute chose. Même l’immense lumière de l’Enfant-Dieu n’était plus désormais aux yeux de beaucoup qu’une chose de plus à la dimension d’un ver de terre et non de l’Astre suprême.
Si l’on ne regarde plus les étoiles du Ciel, on ne peut plus percevoir l’Astre suprême. On peut passer de nombreuses fois à côté de l’Enfant-Dieu, on ne verra qu’un ver de terre, et non la Lumière elle-même. Le monde sans lumière, sans celle des étoiles, sans celle de l’Astre suprême, ne peut plus qu’errer désorienté et tomber dans la dispersion et le chaos.
Mais pourquoi ne voit-on plus les étoiles du Ciel ? Pourquoi ce monde nous est-il fermé ? Pourquoi le Livre est-il scellé de sept sceaux et que personne n’arrive à le lire ?
Je pleurais beaucoup et mon âme se désolait, car il n’y avait personne pour ouvrir le Livre. Je savais que l’Enfant-Dieu était venu nous le donner ce Livre, que nous nous le transmettions de génération en génération, que nous le gardions, comme l’on garde le trône de Dieu. Car il est bien là, sur la Terre, ce trône de Dieu, dans cette blanche Hostie qui est un trône de Miséricorde.
C’est alors que j’entendis une voix qui me disait : prends le Livre et ouvre les sept sceaux. J’étais stupéfait, et je m’écriais que j’étais un homme impur et que j’habitais au milieu d’un monde impur. Alors, on me donna à manger du fruit de l’Arbre de Vie. J’y trouvais force et réconfort, et la vie me fut donnée pour prendre le Livre et en ouvrir les sceaux. Et je me mis à lire.
Sur la première page se trouvait trois anges qui discutaient. Ils s’appelaient Eros, Philia et Agapè. Ils s’entretenaient au sujet d’une grande réconciliation, de quelque chose d’inouïe, telle qu’il n’y en avait jamais eu depuis l’incarnation du Verbe. Je les écoutais ces paroles pleines de mystères. Elles entraient en moi, dans mon cœur ; et soudain mes yeux s’ouvrirent émerveillés à un nouvel aspect du visage du Père. C’était inattendu. Grand et beau. Je fus rempli d’admiration et de contemplation.
Je tournai la page.
Je vis les anges, ces idées éternelles, ces astres du Ciel. Ils semblaient recouverts d’un voile de tristesse. Ils étaient bien en eux-mêmes dans la béatitude éternelle, mais quelque chose les empêchait de répandre leur lumière sur la Terre, de la réchauffer. J’entendis alors une trompette. Un ange s’avança et versa une coupe, et le voile de tristesse tomba. Elles m’apparurent alors dans tout leur éclat, ces étoiles. Elles étaient chacune remplies d’union et de fécondité. Elles étaient pleines d’amour et de lumière.
Je tournai la page.
Il y avait la Terre. Et au centre de la Terre, une Croix immense. Et au centre de la Croix, un Cœur. Et dans le Cœur, un anneau, une alliance. Une armée de ténèbres menait la bataille tout autour de la Croix, cherchant à s’emparer de l’anneau. Elle s’avançait, jusqu’au Cœur, et dans le Cœur. Mais il y eut soudain une lumière qui partit de l’anneau. Puis un feu. Et dans ce feu, il y avait des dragons, des licornes, des pégases, des ents, des centaures, des chevaux, des aigles. Il y avait toute sorte d’animaux, des plus fantastiques au plus anecdotiques. Et au centre de l’anneau, il y avait un agneau. C’était l’Esprit-Saint et les anges qui faisaient irruption sur la Terre.
Je tournai la page.
Je vis une bannière. Et sur la bannière un agneau mystique. Et tout autour une foule d’apôtres, hommes et femmes. Ce n’était pas des prêtres. Ce n’était pas des religieux. Ce n’était pas simplement des laïcs. Ils étaient comme consacrés au Seigneur d’une onction spéciale pour porter l’unité du monde. C’était quelque chose de nouveau et d’inattendu. Ils portaient en eux un mystère. Ils portaient les stigmates du Christ, mais goûtaient une joie immense. Et sur leur passage la lumière et le feu du Ciel se répandaient et chassaient toutes ténèbres. La mort n’avait plus sur eux aucune emprise.
Je tournai la page.
Et je me vis devant le trône de l’Agneau, portant dans une main ce petit Livre qui avait été scellé de sept sceaux, et dans l’autre main une torche. Je lisais. À un moment quelqu’un s’avança. Je lui donnai ma torche. Il prit un autre livre, et se mit à lire à son tour. Puis, quelqu’un d’autre s’avança et la même scène se reproduisit. Puis encore une fois, et encore une fois. À chaque fois, j’écoutais de toutes mes oreilles, émerveillé par ces choses inconnues de moi que j’entendais de la bouche de ceux qui lisaient. Cela parlait de Dieu, cela parlait des anges, cela parlait des hommes, cela parlait de toute chose. Et la ronde continua encore et encore. Tous les élus du ciel avaient leur tour, une fois, deux fois, mille fois, pour toute l’éternité. Et quand chacun lisait, les anges et les hommes s’organisaient pour que ce qui était lu soit mis en scène sur la Terre et au Ciel. C’était une immense vie qui chantait la gloire de l’Éternel.
Je tournai la page.
Il y avait le Temple. Et autour du Temple une foule immense. Elle se lamentait. Il y avait un immense dragon. Sa tête sévissait du côté ouest de l’esplanade. Et sa queue se projetait jusqu’au côté est. Je me vis avancer par l’ouest. J’avais une clef à la main. Arrivé au mur où l’on se lamente, je vis une petite porte. Je l’ouvris avec la clef. De l’embrasure jaillit du sang et de l’eau. À la vue du sang et de l’eau, le dragon prit la fuite comme s’il avait perdu la tête. Je passais la porte, et je m’avançais jusqu’au Temple. L’on me tendit un cor. Et je me mis à sonner. À sonner. Et de toute part, retentirent des cris de victoire. Des rayons de chaude lumière venus de l’Astre suprême dispersèrent les nuages du Ciel. On n’avait jamais vu une telle Lumière. Et il y eut un grand Arc-en-Ciel.
Je tournai la page.
C’était à nouveau le trône de Dieu. Il y avait une foule immense qui recevait des couronnes. J’étais parmi eux, et l’on se réjouissait ensemble. C’était un banquet de viandes grasses et de vins capiteux. Il y avait des danses, des chants et des histoires. Et les étoiles du Ciel brillaient de mille feux. Et autour du Trône étaient disposés deux oliviers qui brûlaient sans se consumer, telles des torches aux reflets colorés. Et autour des oliviers, il y avait deux colonnes. En haut de celle de droite se trouvait la Vierge Marie. En haut de celle de gauche se trouvait le glorieux saint Joseph. Ils trônaient et semblaient veiller sur chaque chose de leur regard et de leur sourire plein de tendresse et d’affection.
Je refermai le Livre. Les paroles qui en étaient sorties m’avait émerveillé. Mais je fus bientôt rempli d’amertume. Mais quand l’amertume fut passée, je vis les paroles du Livre se réaliser.
Une réflexion
Un jour nous paraîtront devant le tribunal de Dieu. Ce sera le Jugement dernier. Nous serons tous devant Lui, notre Dieu, notre Roi. Ce sera un jour beau et admirable, ce sera le jour de l’accomplissement de l’amour.
Il y aura les anges par myriades de myriades. Il y aura les saints en nombre incroyable. Il y aura le Cosmos enfin libéré. Il y aura toutes les créatures venues pour être jugées.
Ce jugement de Dieu, c’est le Christ qui l’accomplira. À la différence de la vie de l’Église où il se sert d’intermédiaires pour faire connaître sa volonté et sa vérité, il agira de Lui-même. Et son jugement se répandra dans tout l’univers.
Il est une question qu’il me semble importante de se poser, une sorte de doute convenable à avoir. C’est celui du périmètre des vérités et des jugements qui appartiennent au Christ seul et non à l’Église. Le concile Vatican I a très bien défini l’infaillibilité de l’Église comme portant sur les vérités de foi, comme liées au salut, pour dire qu’il ne s’agissait pas des vérités en-deça de la foi qui n’était pas de sa compétence. C’est une délimitation par le bas. Mais cela pose aussi une délimitation par la haut, car la foi, c’est ce qui accompagne notre parcours jusqu’au jugement dernier, où il ne s’agira plus de foi, puisque nous Le verrons. Nous verrons le Christ agir. Quelles sont donc ces vérités et jugements sur lesquels il appartient au Christ seul de se prononcer et non à l’Église ? C’est un doute convenable à avoir pour passer au crible nos questions et ne pas nous aventurer à répondre à des questions alors que cela n’appartient qu’au Christ. Nous croirions agir en intermédiaire du Christ, alors que nous agirions contre Lui, à sa place. Ses vérités pourraient même revêtir les formes de l’infaillibilité pontificale ; elles ne seraient alors pas infaillibles, car elles seraient en-dehors du périmètre des vérités sur lesquelles portent le charisme de l’infaillibilité. C’est donc une question d’importance pour ne pas nous égarer.
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