Jésus est Dieu. Jésus est un homme qui est Dieu. C’est un profond mystère que nous n’aurons jamais fini de contempler. C’est la Personne divine de Dieu le Fils. C’est cette Personne qui, assumant la nature humaine, a eu et a encore une vie humaine. La substance de Jésus, c’est la Substance de Dieu ; puisque Dieu n’a qu’une seule Substance ; et puisque la substance d’un être est caractérisée par son acte d’être le plus grand, à savoir pour Jésus, celui de sa divinité, tout en incluant les autres actes d’être, à savoir pour Jésus ceux de son humanité, c’est-à-dire celui de son âme et celui de sa matière (cf l’article La composition des essences).
Cette Personne de Jésus a une conscience. Une conscience au Je. Dieu a une conscience au Nous, car il est un Dieu en trois Personnes. Mais chaque Personne divine à une conscience au Je. Une conscience au je est ce que nous autres créatures spirituelles avons aussi.
La conscience est cette capacité qui permet, pour un être spirituel, l’élaboration d’une parole au je, et dans le cas unique de Dieu au Nous. Elle n’est pas une faculté à proprement parler, mais elle se fonde sur les facultés spirituelles de connaissance, d’intelligence et de volonté pour réaliser sa propre activité. Cette activité est conscience de soi, prise de conscience. Elle permet de saisir sa propre existence et de s’adresser à d’autres êtres comme un sujet parlant à d’autres sujets. Elle rend possible un agir personnel selon son propre vouloir ; un agir qui est aussi une manière d’exprimer la parole profonde de la conscience, car tout acte exprime quelque chose.
Le Christ a une conscience qui se réalise dans une activité divine et une activité humaine. C’est une conscience au je. C’est la conscience du moi de la Personne de Dieu le Fils. Le Christ n’a pas à proprement parler de conscience humaine, de la même manière qu’il n’est pas une personne humaine. Le Christ est une Personne divine, le Christ a une Conscience divine. De fait, la conscience désigne l’ensemble des capacités pour élaborer une parole au je. Et dans le cas du Christ, ses capacités humaines sont intimement liées à ses capacités divines pour réaliser une seule parole personnelle. Son activité de conscience est l’ensemble de ses activités selon sa nature humaine et sa nature divine. C’est important ! Pour bien voir que ce qui se passe dans sa vie humaine, suit ce qui se passe dans sa vie divine. Le Christ a une seule existence : celle d’un Homme-Dieu !
Car de fait, sa vie divine et sa vie humaine avance dans un même mouvement, la première emportant la deuxième dans son dynamisme d’un ardent amour. Nous avons vu dans l’article Pour une métaphysique de la vie que les trois facultés des êtres spirituels sont leur connaissance, leur intelligence et leur volonté. La connaissance permet de naître avec, d’entrer dans une union de vie et d’existence avec un autre être. L’intelligence rend possible la vision de l’essence des êtres. Et la volonté permet de se mouvoir vers un bien, de choisir un bien et donc d’aimer.
La connaissance permet la sensation : c’est un toucher de cette substance, un goût qui m’est donné. Cela peut procurer de la joie si c’est dans une logique de don et d’amour, et de la tristesse si cela manque. C’est une sensation spirituelle qui est différente de la sensation du monde matériel, et qui s’applique à l’existence d’un être fait de vie et de don. L’intelligence permet la vision, spirituelle elle aussi, qui est du même genre que la sensation mais dans le cas d’une essence et non pas de l’être-vie-don. La sensation et la vision, c’est ce qui rend possible l’intelligibilité d’existence et l’intelligibilité d’essence dont nous avons parlé dans notre document Le service des anges. Elles avancent ensemble et nous entraînent dans la jouissance du vrai bien connu et aimé si on le choisit comme tel par la volonté qui y adhère.
La sensation, c’est un toucher, un goût et un odorat qui me fait percevoir que les choses existent et ont une consistance particulière. Cela donne une sagesse car j’ai goûté les choses de l’existence. Je sais qu’elles sont ainsi et non autrement. Il y a de fait une analogie entre les cinq sens matériels et les sens spirituels de sensation et de vision. La sensation a pour objet l’être-vie-don ; c’est un toucher de l’être, un goût de la vie et un odorat du don. La vision a pour objet l’essence ; c’est une ouïe de l’essence en tant qu’elle oriente l’existence, et c’est une vue de l’essence en tant qu’elle caractérise l’être ; j’entends un chant de louange qui s’élève de tout ce qui existe, et je vois la beauté de l’amour vrai dans tout ce qui existe. C’est l’analogie la plus profonde que l’on peut trouver au sujet des sens matériels.
Le Christ dans son humanité avait la sensation de la vie divine à laquelle sa vie humaine était unie par l’union hypostatique. Il avait ce toucher, ce goût et cet odorat qui lui permettaient de saisir qu’il était Dieu sans qu’il n’y ait là aucun doute ou aucune erreur. La vie divine jaillissait en lui, il la sentait en lui par son humanité et cela lui donnait cette sagesse d’être Dieu. Il avait cela dans sa conscience. Et dans cette sagesse d’être Dieu, il adhérait par sa volonté humaine à cette vie divine à laquelle il était unie. Sa faculté de connaissance était stimulée par sa volonté pour que tout en son humanité soit uni à la divinité. C’est cela qui fait que le Christ savait qu’il était Dieu. Et ayant une forte activité d’adhésion à cette vie divine, il est au centre de notre propre adhésion à la vie divine. C’est lui qui nous permet d’adhérer à la vie divine, car il a posé en son humanité tous les actes d’adhésion à la vie divine nécessaire pour qu’elle se répande dans nos cœurs. Il a même posé cette adhésion quand la sensation de son âme a été mis en contact avec la tristesse et le désespoir de tous ceux qui sont partis loin de l’amour. C’est le mystère de Gethsémani où la sensation de son âme était celle de la séparation avec Dieu qui le plongeait dans une forme d’existence loin de Dieu mais où tout en lui adhérait à la vie divine ; et cela afin de ramener les pires pêcheurs à Dieu.
Mais, le Christ avait-il la vision de l’essence divine au cours de sa vie terrestre ? Pour nous, l’adhésion à Dieu se fait dans la nuit. Nous ne voyons pas l’essence divine. Nous avons la sensation de Dieu, mais pas la vision. Nous avons une vision portant sur l’essence des choses du monde sensible qui grâce à la sensation de la vie divine en nous et par le procédé d’analogie nous permet d’adhérer à la vérité sur Dieu. Cela se fait déjà selon notre nature et sa capacité naturelle à sentir Dieu comme créateur pour dire que Dieu existe, qu’il est bon et provident, et bien d’autres choses. Mais c’est la grâce de Dieu, c’est la vertu théologale de foi, qui nous fait adhérer par la volonté à la vie divine qui fait irruption en nous et dont nous avons la sensation mais dont n’avons qu’une vision analogique et non d’essence. Et c’est la sensation qui nous permet de dire : c’est vrai ! Oui, c’est vrai, Jésus-Christ est Dieu ! Je sens par les facultés de mon âme que la vie divine en moi est celle de Jésus-Christ.
Nous n’aurons la vision qu’au terme, quand notre adhésion aura atteint sa pleine mesure. La vision demande notre pleine et entière adhésion, car l’essence divine est si riche qu’on ne peut alors plus rien ajouter à notre adhésion et à notre amour. Il faut être pour cela dans l’accomplissement de notre charité. « Nul ne peut voir Dieu sans mourir » (Ex 33, 20). Nul ne peut voir l’essence divine sans être arrivé au bout de son chemin de croissance dans la charité, ce qui correspond pour nous à notre entrée au Ciel. Ce fut le cas de tous les saints, même de la Vierge Marie, qui n’a vu l’essence divine qu’au Ciel.
Mais le Christ, Lui, est dès le premier instant de sa vie humaine dans une charité parfaite, pleine et entière. Sa vie n’a pas consisté à grandir dans la charité, mais à répandre cette charité, à la faire rayonner autour de Lui pour qu’elle nous atteigne. Son adhésion n’était pas augmentation de sa charité, mais propagation de son amour. Nous, notre adhésion amoureuse est en même temps augmentation de la charité en nous par accueil de la vie du Christ, et propagation de cette vie et de cet amour autour de nous. Le Christ a donc toujours eu la vision béatifique, c’est la position la plus ancrée dans la tradition de l’Église. Il l’a eu car il était pleinement adhérant à Dieu dès l’origine. Nous, notre adhésion grandit, et nous aurons la vision au terme, quand notre adhésion aura atteint sa pleine mesure.
Il faut remarquer que ce n’est pas la vision qui donne l’adhésion, mais c’est la sensation qui permet l’adhésion et qui conduit à la vision. C’est parce que nous sentons la vie divine en nous et que nous y adhérons que nous verrons Dieu un jour. C’est parce que le Christ sentait qu’il était Dieu et y adhérait pleinement qu’il avait la vision de l’essence divine dès les premiers instants. Il faut noter que la sensation n’est pas toujours consciente. Elle est immédiate, mais peut se cacher très loin dans les profondeurs de l’âme. Cependant, elle donne toujours ce mouvement et cette sagesse qui permet de dire : cela est vrai, je veux aller par là. Il faut aussi remarquer que le Christ bien qu’ayant la vision de l’essence divine dans son intelligence a pu éprouver dans sa sensation spirituelle, dans sa connaissance, tous les affres et les souffrances du monde spirituel. L’un n’empêche pas l’autre, car ce sont deux facultés différentes. On pourrait même dire que la sensation éprouvée par la laideur du péché était d’autant plus grande qu’il avait la pleine vision de la beauté de l’amour de Dieu. La vision ne donne de la joie que dans la mesure où ce qu’elle voit est aussi perçu par la sensation ; si c’est le cas, elle stimule la joie. Et la sensation de l’amour de Dieu a pu disparaître dans l’inconscient du Christ alors que celle du péché a pu à un moment être la seule consciente dans son humanité ; il ne restait alors qu’une triste vision d’un Amour désormais lointain dans une profonde sensation d’une séparation qui ne finira jamais. C’est Gethsémani… Mais la joie et la vie ont eu la victoire dès le soir de Gethsémani ! Et le Christ a vécu le Vendredi Saint avec ce cri : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Mon Dieu ! Fais-moi voir ce pour quoi tu m’as abandonné ! Fais-moi voir le rachat des âmes ! C’était un cri et une ardeur qui l’ont porté dans toutes ses souffrances jusqu’à ce que tout soit accompli. C’était une ardeur pleine de joie et de lumière qui en dépit de l’horreur des supplices et de ce qu’il voyait dans son regard porté sur tous les temps ont été plus fort que toute chose.
Le Christ avait la conscience d’être Dieu, il l’avait par sa divinité et par l’accueil plein et entier que son humanité avait de la vie divine. Sa perception du monde s’étendait par sa divinité bien au-delà de ce que l’on peut imaginer. Il lui a été donné de voir au cours de sa vie terrestre la totalité de l’histoire du monde depuis la création jusqu’à la rédemption pleinement achevée. Cela a atteint un paroxysme dans sa Passion et sa Résurrection où en ces trois jours toute l’histoire du monde se sera trouvée progressivement présente à son humanité. Il aura eu les grâces nécessaires pour tout voir, tout percevoir, tout comprendre, entrer en relation avec toute chose. Il est entré en relation dans son humanité avec nous aujourd’hui, par sa divinité. Le Christ est présent là devant nous. C’est le Christ dans sa vie terrestre. C’est le Christ dans sa Passion et sa Résurrection. Et c’est bien sûr le Christ dans sa gloire. L’Évangile est actuel. Il se passe aujourd’hui, car l’aujourd’hui du Christ dans son humanité de chacun de ces instants est l’aujourd’hui, par sa divinité, de tous les temps et de tous les lieux. Et le Christ de l’Évangile agit aujourd’hui soit directement par son humanité glorifiée de notre présent, soit par le ministère de l’Église, par les sacrements et par tous les signes qu’il a institués (cf Sacramentalité et réalité). Le Christ est là ! Il nous regarde, il nous attend. Il n’est pas moins là aujourd’hui que dans l’Évangile. C’est le Christ de l’Évangile qui est là devant nous. Le Christ de chaque page de l’Évangile est là devant nous ! L’Évangile s’accomplit aujourd’hui.
Voilà ce qu’il y a dans la conscience du Christ, et voilà comment nous devons prendre conscience de la rencontre avec Lui.
Il est encore une question intéressante au sujet du Christ, c’est celle de la manière dont sa sexualité était intégrée dans sa vie humano-divine. Sa sexualité humaine était prise dans les mouvements de sa vie divine. Il est le Fils tout tourné vers le Père qui s’unissant à Lui permet la spiration de l’Esprit. La sexualité humaine du Fils était prise dans ce mouvement d’union au Père pour enfanter l’Esprit dans les âmes, pour former et vivifier l’Église. Nous, notre sexualité est prise dans le mouvement qui va de l’homme vers la femme et de la femme vers l’homme pour donner naissance à l’enfant, pour faire jaillir la vie. Lui, elle est prise dans le mouvement qui unit le Fils au Père pour spirer l’Esprit. Et le Christ est l’époux de l’Église dans ce mouvement. La sexualité du Christ est donc dans une autre logique que la nôtre, orientée différemment. Et c’est ce qui fait que nous pouvons l’accueillir dans nos âmes, lui le Christ qui se fait enfant, pour que nous soyons épousés par Dieu et pour que nous soyons entraînés dans ce mouvement divin en nous unissant à l’Esprit-Saint pour rendre au Père la vie du Fils dans une offrande d’amour à sa gloire. (cf notre document Un monde de relations).
Le but de tout cela c’est de nous entraîner dans la louange éternelle du Fils au Père dans l’Esprit, d’où jaillit une louange entre chaque Personne de la Trinité. Car il y a bien de la louange entre les Personnes de la Trinité : elles sont dans un dialogue éternel pour chanter les beautés l’une de l’autre. Tout est ordonné en Dieu à la louange du Père, et par surcroît à la louange de chaque Personne divine. C’est ce que l’on appelle le mystère de la glorification. Tout en ce monde est donc ordonné à la louange du Père, par le chant à l’amour qui s’élève de toutes les dimensions de nos existences et par la beauté qu’expriment toutes nos réalités. Et de cette glorification du Père jaillit une louange à toutes les Personnes divines pour la gloire de l’Amour et de la Trinité. Le but du Christ, ce qui a orienté toute sa vie, c’est cela. Il est venu nous établir dans la vie, dans l’amour, dans la joie, dans la paix, dans l’union, dans la fécondité et dans le bonheur pour que toute notre vie exprime une profonde louange à l’Amour trinitaire. Alors rendons grâce à Dieu, accueillons sa Miséricorde, louons-Le, et vivons de sa vie.